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ses:alexis_de_tocqueville

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yam [... Peuvent conduire au despotisme]
ses:alexis_de_tocqueville [2016/01/31 22:45] (Version actuelle)
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 === Document. « Une multitude innombrable d'hommes presque pareils... » === === Document. « Une multitude innombrable d'hommes presque pareils... » ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Je n'ignore pas que, chez un grand peuple démocratique, il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des citoyens très riches; mais les pauvres, au lieu d'y former l'immense majorité de la nation comme cela arrive toujours dans les sociétés aristocratiques, sont en petit nombre, et la loi ne les a pas attachés les uns aux autres par les liens d'une misère irrémédiable et héréditaire. Je n'ignore pas que, chez un grand peuple démocratique, il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des citoyens très riches; mais les pauvres, au lieu d'y former l'immense majorité de la nation comme cela arrive toujours dans les sociétés aristocratiques, sont en petit nombre, et la loi ne les a pas attachés les uns aux autres par les liens d'une misère irrémédiable et héréditaire.
  
 Les riches, de leur côté, sont clairsemés et impuissants; ils n'ont point de privilè­ges qui attirent les regards; leur richesse même, n'étant plus incorporée à la terre et représentée par elle, est insaisissable et comme invisible. De même qu'il n'y a plus de races de pauvres, il n'y a plus de races de riches; ceux-ci sortent chaque jour du sein de la foule, et y retournent sans cesse. [...] Entre ces deux extrémités de sociétés démocratiques, se trouve une multitude innombrable d'hommes presque pareils, qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l'ordre, et n'en ont pas assez pour exciter l'envie. [...] Les riches, de leur côté, sont clairsemés et impuissants; ils n'ont point de privilè­ges qui attirent les regards; leur richesse même, n'étant plus incorporée à la terre et représentée par elle, est insaisissable et comme invisible. De même qu'il n'y a plus de races de pauvres, il n'y a plus de races de riches; ceux-ci sortent chaque jour du sein de la foule, et y retournent sans cesse. [...] Entre ces deux extrémités de sociétés démocratiques, se trouve une multitude innombrable d'hommes presque pareils, qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l'ordre, et n'en ont pas assez pour exciter l'envie. [...]
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 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, troisième partie, chapitre 26, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, troisième partie, chapitre 26, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
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 === Document. Ni castes, ni classes === === Document. Ni castes, ni classes ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 [...] Quand un peuple a un État social démocratique, c'est-à-dire qu'il n'existe plus dans son sein de castes ni de classes, et que tous les citoyens y sont à peu près égaux en lumières et en biens, l'esprit humain chemine en sens contraire. Les hommes se ressemblent, et de plus ils souffrent, en quelque sorte, de ne pas se ressembler. Loin de vouloir conserver ce qui peut encore singulariser chacun d'eux, ils ne demandent qu'à le perdre pour se confondre dans la masse commune, qui seule représente à leurs yeux le droit et la force. L'esprit d'individualité est presque détruit. [...] Quand un peuple a un État social démocratique, c'est-à-dire qu'il n'existe plus dans son sein de castes ni de classes, et que tous les citoyens y sont à peu près égaux en lumières et en biens, l'esprit humain chemine en sens contraire. Les hommes se ressemblent, et de plus ils souffrent, en quelque sorte, de ne pas se ressembler. Loin de vouloir conserver ce qui peut encore singulariser chacun d'eux, ils ne demandent qu'à le perdre pour se confondre dans la masse commune, qui seule représente à leurs yeux le droit et la force. L'esprit d'individualité est presque détruit.
  
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 Quelque chose de semblable se fait également remarquer de peuple à peuples. Deux peuples auraient le même état social aristocratique, qu'ils pourraient rester fort distincts et très différents, parce que l'esprit de l'aristocratie est de s'individualiser. Mais deux peuples voisins ne sauraient avoir un même état social démocratique, sans adopter aussitôt des opinions et des mœurs sembla­bles, parce que l'esprit de démocratie fait tendre les hommes à s'assimiler. Quelque chose de semblable se fait également remarquer de peuple à peuples. Deux peuples auraient le même état social aristocratique, qu'ils pourraient rester fort distincts et très différents, parce que l'esprit de l'aristocratie est de s'individualiser. Mais deux peuples voisins ne sauraient avoir un même état social démocratique, sans adopter aussitôt des opinions et des mœurs sembla­bles, parce que l'esprit de démocratie fait tendre les hommes à s'assimiler.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, note de bas de page, troisième partie, chapitre 26, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, note de bas de page, troisième partie, chapitre 26, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 55: Ligne 55:
 === Document. La tendance à l'égalisation des conditions === === Document. La tendance à l'égalisation des conditions ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Lorsqu'on parcourt les pages de notre histoire, on ne rencontre pour ainsi dire pas de grands événements qui depuis sept cents ans n'aient tourné au profit de l'égalité. [...] Lorsqu'on parcourt les pages de notre histoire, on ne rencontre pour ainsi dire pas de grands événements qui depuis sept cents ans n'aient tourné au profit de l'égalité. [...]
  
Ligne 63: Ligne 63:
  
 Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération ? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ? Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération ? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ?
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, introduction, tome I, 1835. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem1|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, introduction, tome I, 1835. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem1|Version en ligne]])''
Ligne 69: Ligne 69:
 === Document. L'égalité, fait dominant des peu­ples démocratiques === === Document. L'égalité, fait dominant des peu­ples démocratiques ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Le goût que les hommes ont pour la liberté et celui qu'ils ressentent pour l'égalité sont, en effet, deux choses distinctes, et je ne crains pas d'ajouter que, chez les peu­ples démocratiques, ce sont deux choses inégales. Le goût que les hommes ont pour la liberté et celui qu'ils ressentent pour l'égalité sont, en effet, deux choses distinctes, et je ne crains pas d'ajouter que, chez les peu­ples démocratiques, ce sont deux choses inégales.
  
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 Le fait particulier et dominant qui singularise ces siècles, c'est l'égalité des condi­tions ; la passion principale qui agite les hommes dans ces temps-là, c'est l'amour de cette égalité. Le fait particulier et dominant qui singularise ces siècles, c'est l'égalité des condi­tions ; la passion principale qui agite les hommes dans ces temps-là, c'est l'amour de cette égalité.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie,  ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, 
Ligne 84: Ligne 84:
 === Document. L'égalité, une passion insatiable === === Document. L'égalité, une passion insatiable ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas rendre les conditions parfaitement égales dans son sein et s'il avait le malheur d'arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait encore l'inégalité des intelligences, qui, venant directe­ment de Dieu, échappera toujours aux lois. Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas rendre les conditions parfaitement égales dans son sein et s'il avait le malheur d'arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait encore l'inégalité des intelligences, qui, venant directe­ment de Dieu, échappera toujours aux lois.
  
 Quelque démocratique que soit l'état social et la constitution politique d'un peu­ple, on peut donc compter que chacun de ses citoyens apercevra toujours près de soi plusieurs points qui le dominent, et l'on peut prévoir qu'il tournera obstinément ses regards de ce seul côté. Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l'œil; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande. Quelque démocratique que soit l'état social et la constitution politique d'un peu­ple, on peut donc compter que chacun de ses citoyens apercevra toujours près de soi plusieurs points qui le dominent, et l'on peut prévoir qu'il tournera obstinément ses regards de ce seul côté. Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l'œil; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie,  ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, 
Ligne 101: Ligne 101:
 Tocqueville s’interroge sur la question de savoir si la passion des individus pour l’égalité ne va pas finir par détruire leur liberté. Autrement dit, les individus ne seront-ils pas prêts à accepter une situation de servitude au nom de l'égalité entre eux ? Tocqueville s’interroge sur la question de savoir si la passion des individus pour l’égalité ne va pas finir par détruire leur liberté. Autrement dit, les individus ne seront-ils pas prêts à accepter une situation de servitude au nom de l'égalité entre eux ?
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l'aiment, et ils ne voient qu'avec douleur qu'on les en écarte. Mais ils ont pour l'égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l'égalité dans la liberté, et, s'ils ne peuvent l'obtenir, ils la veulent encore dans l'esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l'asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l'aristocratie. Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l'aiment, et ils ne voient qu'avec douleur qu'on les en écarte. Mais ils ont pour l'égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l'égalité dans la liberté, et, s'ils ne peuvent l'obtenir, ils la veulent encore dans l'esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l'asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l'aristocratie.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 1, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 1, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 122: Ligne 122:
 === Document. Les dangers du matérialisme === === Document. Les dangers du matérialisme ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 La démocratie favorise le goût des jouissances matérielles. Ce goût, s'il devient excessif, dispose bientôt les hommes à croire que tout n'est que matière; et le matéria­lisme, à son tour, achève de les entraîner avec une ardeur insensée vers ces mêmes jouissances. Tel est le cercle fatal dans lequel les nations démocratiques sont pous­sées. Il est bon qu'elles voient le péril, et se retiennent. La démocratie favorise le goût des jouissances matérielles. Ce goût, s'il devient excessif, dispose bientôt les hommes à croire que tout n'est que matière; et le matéria­lisme, à son tour, achève de les entraîner avec une ardeur insensée vers ces mêmes jouissances. Tel est le cercle fatal dans lequel les nations démocratiques sont pous­sées. Il est bon qu'elles voient le péril, et se retiennent.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, note de bas de page, deuxième partie, chapitre 15, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, note de bas de page, deuxième partie, chapitre 15, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 132: Ligne 132:
 === Document. Individualisme et égoïsme === === Document. Individualisme et égoïsme ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme. L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme.
 L'égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l'homme à ne rien rapporter qu'à lui seul et à se préférer à tout. L'égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l'homme à ne rien rapporter qu'à lui seul et à se préférer à tout.
Ligne 151: Ligne 151:
  
 Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur. Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 2, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 2, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 159: Ligne 159:
 === Document. Un nouveau despotisme ? === === Document. Un nouveau despotisme ? ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html+<WRAP box
-Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.+Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
  
-Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sut leur sort. il est absolu, détaillé, régulier, pré­voyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs. principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? +Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sut leur sort. il est absolu, détaillé, régulier, pré­voyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs. principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? 
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, quatrième partie, chapitre 6, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, quatrième partie, chapitre 6, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 169: Ligne 169:
 === Document. Une majorité toute puissante ? === === Document. Une majorité toute puissante ? ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html+<WRAP box
-Qu'est-ce donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils deve­nus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts ? Pour moi, je ne saurais le croire; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l'accorderai jamais à plusieurs.+Qu'est-ce donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils deve­nus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts ? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l'accorderai jamais à plusieurs.
  
 La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. Son exercice me paraît au-dessus des forces de l'homme, quel qu'il soit, et je ne vois que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant, parce que sa sagesse et sa justice sont toujours égales à son pouvoir. Il n'y a donc pas sur la terre d'autorité si respectable en elle-même, ou revêtue d'un droit si sacré, que je voulusse laisser agir sans contrôle et dominer sans obstacles. Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu'on l'appelle peuple ou roi, démocratie ou aris­tocratie, qu'on l'exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d'autres lois. La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. Son exercice me paraît au-dessus des forces de l'homme, quel qu'il soit, et je ne vois que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant, parce que sa sagesse et sa justice sont toujours égales à son pouvoir. Il n'y a donc pas sur la terre d'autorité si respectable en elle-même, ou revêtue d'un droit si sacré, que je voulusse laisser agir sans contrôle et dominer sans obstacles. Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu'on l'appelle peuple ou roi, démocratie ou aris­tocratie, qu'on l'exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d'autres lois.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 7, tome I, 1835. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem1|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, deuxième partie, chapitre 7, tome I, 1835. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem1|Version en ligne]])''
Ligne 179: Ligne 179:
 === Document. Une majorité omnisciente ? === === Document. Une majorité omnisciente ? ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 À mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente, et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde. À mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente, et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde.
  
 Non seulement l'opinion commune est le seul guide qui reste à la raison indivi­duelle chez les peuples démocratiques ; mais elle a chez ces peuples une puis­sance infiniment plus grande que chez nul autre. Dans les temps d'égalité, les hommes n'ont aucune foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude ; mais cette même simi­litude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu'ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se ren­contre pas du côté du plus grand nombre. Non seulement l'opinion commune est le seul guide qui reste à la raison indivi­duelle chez les peuples démocratiques ; mais elle a chez ces peuples une puis­sance infiniment plus grande que chez nul autre. Dans les temps d'égalité, les hommes n'ont aucune foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude ; mais cette même simi­litude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu'ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se ren­contre pas du côté du plus grand nombre.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, première partie, chapitre 2, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])'' ''Source : Alexis de Tocqueville, //De la démocratie en Amérique//, première partie, chapitre 2, tome II, 1840. ([[http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.toa.dem2|Version en ligne]])''
Ligne 193: Ligne 193:
 === Document. L'opinion publique n'existe pas === === Document. L'opinion publique n'existe pas ===
  
-<html><fieldset class='yamfs'></html>+<WRAP box>
 Je voudrais préciser d'abord que mon propos n'est pas de dénoncer de façon mécanique et facile les sondages d'opinion, mais de procéder à une analyse rigoureuse de leur fonctionnement et de leurs fonctions. Ce qui suppose que l'on mette en question les trois postulats qu'ils engagent implicitement. Toute enquête d'opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d'une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat. Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent. Je pense que l'on peut démontrer qu'il n'en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n'ont pas du tout la même force réelle conduit à produire des artefacts dépourvus de sens. Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posées. Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s'observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l'analyse des données. Je voudrais préciser d'abord que mon propos n'est pas de dénoncer de façon mécanique et facile les sondages d'opinion, mais de procéder à une analyse rigoureuse de leur fonctionnement et de leurs fonctions. Ce qui suppose que l'on mette en question les trois postulats qu'ils engagent implicitement. Toute enquête d'opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d'une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat. Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent. Je pense que l'on peut démontrer qu'il n'en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n'ont pas du tout la même force réelle conduit à produire des artefacts dépourvus de sens. Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posées. Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s'observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l'analyse des données.
-<html></fieldset></html>+</WRAP>
  
 Source : Pierre Bourdieu, //Questions de sociologie//, Éditions de Minuit, 1980, p. 222-235. Source : Pierre Bourdieu, //Questions de sociologie//, Éditions de Minuit, 1980, p. 222-235.
Ligne 207: Ligne 207:
 {{:user:yamina_abdallahi:ses:abstentionauxelections.ods|Version ODS}} {{:user:yamina_abdallahi:ses:abstentionauxelections.ods|Version ODS}}
  
-''Source : Pierre Bréchon, //La France aux urnes. Soixante ans d’histoire électorale//, Les études de la Documentation française, 5e édition, 2009, repris par TNS Sofres. [[http://www.tns-sofres.com/points-de-vue/7EB7E45F23E545629454F8FDF2A44E3F.aspx|Disponible en ligne]]''+''Source : Pierre Bréchon, //La France aux urnes. Soixante ans d’histoire électorale//, Les études de la Documentation française, 5e édition, 2009, repris par TNS Sofres. [[http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/abstentions|Disponible en ligne]]''
  
 ==== La professionnalisation du personnel politique ==== ==== La professionnalisation du personnel politique ====
Ligne 213: Ligne 213:
 === Document. La professionnalisation politique, un danger ? === === Document. La professionnalisation politique, un danger ? ===
  
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 […] La plupart de ceux que nous appelons « hommes politiques » consacrent toute leur énergie et toute leur vie à la politique, dont ils tirent aussi leurs moyens de subsistance. À la suite du sociologue Max Weber, on appelle « professionnels de la politique » ceux qui vivent ainsi pour et de la politique. Dans la plupart des systèmes occidentaux, le plus grand nombre des membres des gouvernements, des parlementaires et des dirigeants élus des institutions territoriales (Régions, grandes villes, Départements) sont, en ce sens, des professionnels de la politique. [...] […] La plupart de ceux que nous appelons « hommes politiques » consacrent toute leur énergie et toute leur vie à la politique, dont ils tirent aussi leurs moyens de subsistance. À la suite du sociologue Max Weber, on appelle « professionnels de la politique » ceux qui vivent ainsi pour et de la politique. Dans la plupart des systèmes occidentaux, le plus grand nombre des membres des gouvernements, des parlementaires et des dirigeants élus des institutions territoriales (Régions, grandes villes, Départements) sont, en ce sens, des professionnels de la politique. [...]
 Les hommes politiques professionnels tendent à monopoliser les activités politiques. L’existence d’agents politiquement actifs suppose et favorise la passivité de ceux qui s’adonnent à d’autres activités. Le permanent, celui qui est présent sur le terrain politique en permanence, s’impose aisément aux occasionnels. Il y a désormais des spécialistes des questions politiques et du même coup, nécessairement, des non-spécialistes. Du fait de leur spécialisation, les premiers font autorité dans leur domaine et les seconds se trouvent dépossédés de la possibilité d’une intervention autonome. À partir du moment où la politique devient professionnelle, celui qui souhaite peser sur l’orientation des décisions publiques doit, en l’état actuel des choses, s’en remettre aux professionnels ou devenir lui-même un professionnel. La politique suppose un apprentissage et une initiation. Elle est du même coup réservée à des « initiés ». Ceux qui ne le sont pas sont objectivement des « profanes », à la fois « ignorants » (relativement aux initiés et inégalement) et éloignés du « sacré », même s’ils ne sont pas constitués comme tels du fait de leur statut de « citoyens » officiellement (et, dans une certaine mesure, de manière variable selon les caractéristiques sociales des individus, effectivement) habilités à désigner les gouvernants et à se prononcer sur les affaires de la cité à travers cette désignation. De fait, leur intervention est souvent jugée indésirable et profanatrice, sauf quand elle est recherchée et conduite par les professionnels. […] Les hommes politiques professionnels tendent à monopoliser les activités politiques. L’existence d’agents politiquement actifs suppose et favorise la passivité de ceux qui s’adonnent à d’autres activités. Le permanent, celui qui est présent sur le terrain politique en permanence, s’impose aisément aux occasionnels. Il y a désormais des spécialistes des questions politiques et du même coup, nécessairement, des non-spécialistes. Du fait de leur spécialisation, les premiers font autorité dans leur domaine et les seconds se trouvent dépossédés de la possibilité d’une intervention autonome. À partir du moment où la politique devient professionnelle, celui qui souhaite peser sur l’orientation des décisions publiques doit, en l’état actuel des choses, s’en remettre aux professionnels ou devenir lui-même un professionnel. La politique suppose un apprentissage et une initiation. Elle est du même coup réservée à des « initiés ». Ceux qui ne le sont pas sont objectivement des « profanes », à la fois « ignorants » (relativement aux initiés et inégalement) et éloignés du « sacré », même s’ils ne sont pas constitués comme tels du fait de leur statut de « citoyens » officiellement (et, dans une certaine mesure, de manière variable selon les caractéristiques sociales des individus, effectivement) habilités à désigner les gouvernants et à se prononcer sur les affaires de la cité à travers cette désignation. De fait, leur intervention est souvent jugée indésirable et profanatrice, sauf quand elle est recherchée et conduite par les professionnels. […]
 La politique a donc été touchée par la division du travail qui caractérise nos sociétés. Les activités politiques sont devenues distinctes des autres activités sociales. Alors que leur gestion était un élément de la domination sociale du notable, elle est devenue l’apanage d’une « profession » particulière. […] La politique a donc été touchée par la division du travail qui caractérise nos sociétés. Les activités politiques sont devenues distinctes des autres activités sociales. Alors que leur gestion était un élément de la domination sociale du notable, elle est devenue l’apanage d’une « profession » particulière. […]
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 Source : Daniel Gaxie, « Les enjeux citoyens de la professionnalisation politique », //Mouvements// n°18, La Découverte, novembre/décembre 2001, p. 21 à 27. [[http://dx.doi.org/10.3917/mouv.018.0021|Disponible en ligne (doi)]] Source : Daniel Gaxie, « Les enjeux citoyens de la professionnalisation politique », //Mouvements// n°18, La Découverte, novembre/décembre 2001, p. 21 à 27. [[http://dx.doi.org/10.3917/mouv.018.0021|Disponible en ligne (doi)]]
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