Table des matières

Chapitre 2. Classes, stratification et mobilité sociales

Terminale ES

I. Comment analyser la structure sociale ?

Notions : Inégalités économiques, inégalités sociales, classes sociales, groupes de statut, catégories socioprofessionnelles.

Acquis de première : salaire, revenu, profit, revenus de transfert, groupe social.

Indications complémentaires :

On mettra en évidence le caractère multiforme des inégalités économiques et sociales ainsi que leur aspect parfois cumulatif. On procédera à des comparaisons en utilisant les principaux indicateurs et outils statistiques appropriés.
On présentera les théories des classes et de la stratification sociale dans la tradition sociologique (Marx, Weber) ainsi que leurs prolongements contemporains et on s'interrogera sur leur pertinence pour rendre compte de la dynamique de la structuration sociale. On mettra en évidence la multiplicité des critères de différenciation sociale dans les sociétés post-industrielles (statut professionnel, âge, sexe, style de vie).

Quelques exemples de sujets du bac :
EC1 :
Qu'est-ce qui distingue l'approche des classes sociales chez Marx et Weber ? (France métropolitaine, 2012)
Montrez que les inégalités économiques et sociales peuvent se cumuler. (Liban, 2013)
Montrez à partir d'un exemple comment les inégalités économiques peuvent être à l'origine d'inégalités sociales. (Polynésie, 2013)
Montrez le caractère multiforme des inégalités. (Autres centres étrangers, 2013)
Quelles sont les caractéristiques des groupes de statut selon Max Weber ? (France métropolitaine, 2013)
Pourquoi peut-on dire qu'il existe des inégalités sociales entre générations ? (Amérique du Sud, 2013)
Illustrez par un exemple le caractère cumulatif des inégalités économiques et sociales. (Amérique du Nord, 2014)
En vous appuyant sur un exemple de votre choix, vous montrerez le caractère cumulatif des inégalités économiques et sociales. (Autres centres étrangers, 2014)
Distinguez classes sociales et groupes de statut dans l'approche weberienne. (Antilles-Guyane, 2014)
Montrez que les inégalités sociales sont multiformes. (Antilles-Guyane, 2015)
Présentez la théorie des classes sociales selon Karl Marx. (Asie, 2016)
Montrez que les inégalités sociales peuvent être à l'origine d'inégalités économiques. (Nouvelle-Calédonie, 2016)
En quoi l'analyse des classes sociales de Max Weber se distingue-t-elle de celle de Karl Marx ? (France métropolitaine, 2017)
Montrez que les catégories socioprofessionnelles sont un moyen de rendre compte de la structure sociale. (Amérique du Sud, 2017)
Quelles sont les caractéristiques des classes sociales selon Karl Marx ? (Amérique du Nord, 2018)
Montrez à l'aide d'un exemple que les inégalités économiques et sociales peuvent être cumulatives. (France métropolitaine, 2018)
EC3 :
Vous montrerez que les inégalités peuvent avoir un caractère cumulatif. (France métropolitaine, 2013)
À l'aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que les inégalités ont un caractère multiforme. (Antilles-Guyane, 2014, rattrapage)
Vous montrerez que les inégalités ne sont pas seulement économiques. (Amérique du Sud, 2014)
Vous montrerez qu'il existe une multiplicité de critères pour rendre compte de la structure sociale. (Nouvelle-Calédonie, 2014)
Vous montrerez que les inégalités économiques et sociales sont cumulatives. (Pondichéry, 2015)
Vous montrerez que l'analyse de la structure sociale en termes de classes sociales peut être remise en cause. (Polynésie, 2015)
Vous montrerez que les inégalités économiques et les inégalités sociales peuvent être cumulatives. (France métropolitaine, 2015, rattrapage)
Vous montrerez que les inégalités peuvent rendre pertinente l'analyse de la structure sociale en termes de classes. (Polynésie, 2017)
Vous montrerez que divers critères sont nécessaires pour différencier les groupes sociaux. (Antilles-Guyane, 2017, rattrapage)
Vous montrerez que les analyses en termes de classes sociales peuvent rendre compte de la structure sociale. (Antilles-Guyane, 2018)
Vous montrerez que les inégalités économiques et sociales ont un caractère cumulatif. (France métropolitaine, 2018)
Vous montrerez que les classes sociales sont un outil pertinent pour analyser la société française contemporaine. (Nouvelle-Calédonie, 2018)
Dissertation :
Comment rendre compte aujourd'hui de la structure sociale en France ? (Antilles-Guyane, 2013)
Pourquoi les frontières entre les classes sociales ont-elles tendance à se brouiller ? (France métropolitaine, 2013, rattrapage)
Dans quelle mesure les classes sociales existent-elles aujourd'hui en France ? (Pondichéry, 2014)
Les classes sociales permettent-elles de rendre compte de la structure sociale actuelle en France ? (Amérique du Nord, 2015)
L'analyse en termes de classes sociales est-elle pertinente pour rendre compte de la structure sociale ? (Autres centres étrangers, 2015)
Comment les inégalités peuvent-elles se cumuler ? (Amérique du Sud, 2016)
Les analyses en termes de classes sociales peuvent-elles rendre compte à elles seules de la structure sociale actuelle ? (Amérique du Sud, 2018)

1. Les inégalités : une réalité complexe

Dans une société qui se veut fondée sur un principe d'égalité, sommes-nous pour autant tous semblables ?

1.1. Qu'est-ce qu'une inégalité ?

Pour se préparer : Document. Un peu de vocabulaire : différences, inégalités, hiérarchie sociale

Si chacun était identique aux autres, il ne pourrait exister d’inégalité. Inversement, les différences entre individus (concernant leur sexe, leur âge, leur région, etc.) ne sont pas nécessairement des inégalités. Pour qu’il y ait des inégalités, il faut qu’il existe des ressources socialement prisées et caractérisées par leur rareté (naturelle ou non), inégalement réparties entre les individus, permettant ainsi de repérer une échelle hiérarchique.
À l’inverse il pourrait exister des formes de différenciation sans hiérarchisation, comme ce pourrait être le cas a priori des différences sociales et culturelles liées à l’appartenance ethnique, religieuse, d’âge ou de genre (femmes et hommes). Évidemment, a posteriori, les situations sont bien plus complexes : certaines de ces différences sont en effet détournées le long de processus sociaux pour imposer des hiérarchies entre de tels groupes, comme on le comprend assez vite lorsque l’on étudie les rapports de genre.

Source : Louis Chauvel, « La stratification sociale », in Robert Castel, Louis Chauvel, Dominique Merllié, Érik Neveu, Thomas Piketty, Les mutations de la société française, La découverte, 2007.

Questions :
1. Suffit-il qu'il y ait différence pour parler d'inégalité ?
2. Qu’est-ce qu’une hiérarchie sociale ?

Comme vous l'avez déjà vu en Première ES, les individus se distinguent les uns des autres par différents éléments :

Ces éléments ne sont pas nécessairement indépendants et peuvent faire l'objet de classements. Toutes les différences ne donnent pas lieu à des inégalités.

Bref, on peut retenir que :


Une différence est un critère permettant de distinguer les individus. Ces différences peuvent être de nature variées : physiques, démographiques, géographiques, culturelles, sociales, économiques, politiques, etc.


Une différence devient une inégalité lorsque posséder cette différence devient, selon les cas, source d'avantages ou de désavantages pour un individu (ou pour un groupe social).

Autrement dit :


Une inégalité est une différence qui se traduit par l'obtention de privilèges ou, au contraire, interdit l'accès à des ressources rares, des positions sociales, à la reconnaissance sociale.

 

Dernier terme qu'il est intéressant de comprendre, celui de discrimination :


Une discrimination est une inégalité qui se rapporte généralement à un élément sur lequel les individus n'ont pas de prise, comme la couleur de peau, le sexe… De plus, les discriminations impliquent le plus souvent l'idée d'une exclusion (d'un emploi, de l'accès à une ressource…). Enfin, elles sont considérées comme injustes (au sens où elles ne respectent pas les principes de la justice sociale) et sont réprimées socialement (le plus souvent par les lois).

 

Schéma récapitulatif :

1.2. Les outils de mesure des inégalités

Il y a de nombreux instruments servant à mesurer les inégalités. Vous en avez déjà eu un aperçu en seconde et en première, notamment lorsque vous avez étudié les PCS.

Pourquoi autant d'instruments ? Parce que les inégalités sont non seulement multiples mais qu'elles sont complexes à mesurer. Pour prendre un seul exemple (que vous verrez plus bas), les inégalités de salaires ne sont pas aussi faciles à mesurer qu'il paraît : pour isoler les différences de salaire liées aux inégalités, il faudrait pouvoir comparer des individus qui ont exactement la même formation, la même expérience, le même temps de travail, etc. Et encore, cela ne serait pas suffisant : par exemple, comment dire si une femme est moins payée parce qu'elle est moins productive, parce qu'elle n'effectue pas d'heures supplémentaires, ne participe pas souvent aux réunions ou voyages d'entreprise, consacre moins de temps à sa formation continue ou à l'entretien de son réseau, etc… et ses éléments ne sont-ils pas déjà liés à des inégalités…
Bref, c'est compliqué. Et cela d'autant plus que les inégalités sont un enjeu de société important, donc l'étude est donc soumise à des considérations idéologiques et politiques.

Parmi les instruments de mesure des inégalités qu'il importe de maîtriser, nous allons examiner les quantiles, la courbe de Lorenz et l'indice de Gini ainsi que le strobiloïde.

Pour le Bac, vous devez être capable de lire correctement et d'interpréter les données chiffrées concernant les inégalités. Ne négligez donc pas cet apprentissage.

Premier instrument de mesure que l'on utilise très souvent :

[1.2.1.] Les quantiles

Les quantiles sont des indicateurs de la dispersion d'un caractère statistique, c'est-à-dire de l'importance de l'écart entre les valeurs extrêmes de ce caractère1). Le principe des quantiles (on parle parfois de « fractiles ») est simple : il s'agit de découper une population en « tranches », selon un principe hiérarchique, de façon à pouvoir comparer les différentes tranches entre elles. Autrement dit, il faut classer des individus par ordre croissant de la variable étudiée, puis constituer des groupes ayant le même effectif. À partir de là, il devient possible de calculer des quantiles, c’est-à-dire les valeurs (les seuils) qui séparent deux groupes qui se succèdent (de même que la moyenne de chaque groupe).

Ainsi :

  • les quartiles correspondent à un découpage par tranches de 25 %,
  • les quintiles à un découpage par tranches de 20 %,
  • les déciles à un découpage par tranches de 10 % (ceux que l'on utilise le plus souvent),
  • les vingtiles à un découpage par tranches de 5 % (d'usage encore peu courant),
  • les centiles (on trouve parfois abusivement le terme anglais de « percentiles ») à un découpage par tranches de 1 %.

Remarque : en anglais, le terme permillage (permille signifiant “pour mille”, ‰) désigne un découpage par tranches de 0,1 %. Ce terme n'a pas d'équivalent en français.

L'écart interquantile mesure la différence entre deux quantiles différents (et généralement opposés). Il est un indicateur de la dispersion : plus l'écart est élevé, plus la dispersion est forte ; plus l'écart est faible (proche de 0), plus la dispersion est faible.

Exemples :

  • intervalle interquartile = Q3- Q1.
  • intervalle interdécile = D9 – D1.

Le rapport interquantile désigne le rapport entre deux quantiles différents. Il est un indicateur de la dispersion : plus le rapport est élevé, plus la dispersion est forte ; plus le rapport est faible (proche de 1), plus la dispersion est faible.

Exemples :

  • rapport interquartile = Q3/Q1.
  • rapport interdécile = D9/D1. C'est celui que l'on utilise le plus souvent.

Pour aller plus loin :

Observatoire des inégalités, « La mesure des inégalités : qu’est-ce qu’un “décile” ? À quoi ça sert ? », Comprendre - Les questions clés. Disponible en ligne : http://www.inegalites.fr/spip.php?article703

 

Deuxième instrument de mesure fréquent :

[1.2.2.] La courbe de Lorenz et l'indice de Gini

La courbe de Lorenz est une représentation graphique de la concentration d'une variable (en particulier le revenu ou le patrimoine) relativement à une répartition parfaitement égalitaire (la diagonale qui représente la répartition parfaite). Elle permet donc de représenter l'importance des inégalités en les comparant à une situation où l'égalité entre les individus (ou ménages) est strictement respectée.

Le graphique se présente sous la forme d'une boîte : à l'horizontale (axe des abscisses) on trouve la répartition de la population étudiée en pourcentage cumulés (par déciles) ; à la verticale (axe des ordonnées) on trouve le ou les indicateur(s) des inégalités étudié(s) (la ou les variables présentée(s) par déciles).

Sur le graphique est tracée la diagonale, droite qui représente une répartition parfaitement égalitaire (en bleu dans l'exemple). Est ensuite tracé, la ou les courbes de Lorenz (en jaune, rouge et vert sur le graphique), courbe(s) qui représente(nt) la répartition de la (les) variable(s) à une date donnée. Elles peuvent être distinguées par date (deux répartitions à des dates différentes pour une même population et une même variable pour visualiser l'évolution des inégalités), par population (même variable, même date, pour plusieurs populations que l'on veut comparer), par variable (même date, même population, pour montrer les effets différenciés des variables sur les inégalités), etc.

Remarque : le chiffre 50 % sur l'axe des abscisses correspond à la médiane de la population ; le chiffre 50 % sur l'axe des ordonnées correspond à la médiale.

La courbe de Lorenz permet de visualiser les inégalités en montrant l'écart entre une situation théorique d'égalité et la situation réellement constatée. Plus l'écart entre la droite de référence et la courbe est grand (la surface comprise entre la droite de référence et la courbe de Lorenz tend à occuper tout l'espace du triangle inférieur), plus les inégalités sont fortes. À l'inverse, un faible écart entre la droite et la courbe est le signe d'inégalités peu prononcées (la courbe tend à se rapprocher de la droite de référence voire à se confondre avec elle).

Document. Courbe de Lorenz

Courbe de Lorenz

Clé de lecture : En abscisse est représentée la part des ménages en pourcentage et, en ordonnée, la part en pourcentage du revenu disponible, du niveau de vie et du patrimoine, par ordre croissant. Ainsi, sur la courbe représentant l'égalité parfaite, on peut lire que 10 % des ménages les moins riches possèdent 10 % de la richesse. Sur celle représentant le revenu disponible, 10 % des ménages les moins riches possèdent 2,7 % du revenu disponible.

Sources des données :
Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2012 et séries longues, Insee Résultats n°164 Société, février 2015 – Distribution des revenus disponibles annuels des ménages - Masses détenues en 2012. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/irweb/irsocerfs2012/dd/excel/irsocerfs2012_DRD02.xls
Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2013 – Masse des niveaux de vie détenue par les x % les plus riches en 2013. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/figure/NATnon04246.xls. Autre source de données possible : DNV02.xls. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/irweb/erfs2006/dd/excel/erfs2006_DNV02.xls
Enquête patrimoine 2010 – Masse du patrimoine détenue par les x % les plus riches en 2010. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/figure/NATnon04244.xls

Version ods

C'est ici qu'intervient le coefficient de Gini. Il va permettre de mesurer précisément l'écart entre la droite de référence (la droite d'égalité parfaite) et la courbe de Lorenz.

Le coefficient de Gini est ainsi égal à s/t,

  • avec s, la surface comprise entre la droite d'égalité parfaite et la courbe de Lorenz,
  • et t, le triangle formé par la partie inférieure du graphique (en-dessous de la droite d'égalité parfaite).

Il est compris entre 0 et 1. Lorsqu'il est tend vers 1, la surface entre la droite de référence et la courbe est étendue. Cela signifie que toute la richesse est en possession d'un faible nombre d'individus (un seul dans le cas extrême). À l'inverse, lorsqu'il tend vers 0, la surface est faible, voire nulle. Cela signifie que la richesse est repartie de façon égalitaire (dans le cas extrême, 1 % de la population possède 1 % de la richesse).

 

Enfin, moins fréquent mais qu'il est utile de connaître :

[1.2.3.] Le strobiloïde

Le « strobiloïde » (du grec strobilos, toupie) est une « invention » du sociologue Henri Mendras, mais c'est Louis Chauvel qui, par ses travaux, contribue à formaliser et à populariser cet outil de représentation des inégalités.

Principe :

Il s'agit de représenter sous forme graphique la répartition d'une variable permettant de mesurer les inégalités (en général le revenu et/ou le patrimoine). La forme que prend cette représentation donne alors une idée « visuelle » (toupie, cloche, sapin…) et relativement « intuitive » (la lecture d'un strobiloïde est simple) des inégalités (en terme de proportion comme de position relative des individus).

Le strobiloïde permet soit :

  • de rendre compte de la situation des inégalités dans un pays (ou une région) à un instant donné (strobiloïde symétrique) ;
  • de comparer la situation de ce pays à 2 dates différentes ;
  • de comparer la situation de 2 pays à une même date ;
  • de comparer 2 variables différentes pour un même pays et à la même date.
Lecture d'un strobiloïde :

Sur l'axe vertical est représenté la variable sous forme d'indice croissant (plus on monte, plus le niveau de la variable est important !). L'indice 100 correspond à la médiane de la variable (revenu médian et/ou patrimoine médian).

Sur l'axe horizontal est représenté la proportion d'individus en pourcentage.

Le « renflement » (la largeur) du strobiloïde est donc proportionnel au nombre d'individus correspondant au revenu (resp. patrimoine). Le strobiloïde met ainsi en relation la proportion d'individus et le revenu (resp. patrimoine) détenu ou, pour le dire encore autrement, chacun des points de la courbe indique quelle proportion de la population touche quel revenu (resp. détient quel patrimoine).

Rappel : les « pauvres » sont définis, en France, comme les personnes qui perçoivent moins de la moitié du revenu médian (50 %). Les « classes moyennes » se situent entre 50% du revenu médian et 200 %. Les riches au-dessus de 200 %.

La forme du strobiloïde indique alors le type de répartition des inégalités (et donc de société) auquel on a à faire :

  • Un strobiloïde en forme de cloche correspond à une société où les inégalités sont faibles : les « riches » ne sont pas beaucoup plus riches que les autres, les « moyens » sont très nombreux et les « pauvres » existent mais sont peu nombreux. Cela correspond au cas de la Suède.
  • Un strobiloïde en forme de sapin, dénote une société relativement inégalitaire : la concentration des individus en-dessous de la médiane est caractéristique. Cependant, il ne s'agit pas nécessairement de la forme de société la plus inégalitaire : il existe des « très riches », il y a peu de « riches », un peu plus de « moyens », beaucoup de « pauvres » mais très peu de « très pauvres ». Ce cas correspond à celui des Pays-bas. On remarquera que plus la courbe s'étire vers le haut (le sapin est haut) et plus les inégalités seront fortes.
  • Un strobiloïde en forme de toupie révèle une société où les inégalités sont relativement fortes également mais où une partie de la population est concentrée autour de la valeur centrale : il y a des « riches » et des « très riches », beaucoup de « moyens » et des « pauvres ». Plus que l'importance de la pauvreté, c'est la différence entre les « très riches » et les « pauvres » qui caractérise les inégalités. Cela correspond à la situation de la France.
  • Un strobiloïde en forme de sablier2), indique une société très fortement inégalitaire : la concentration des individus est forte au-dessus (les « riches ») et en-dessous de la médiane (les « pauvres ») mais peu d'individus se trouvent à son niveau (absence de « classe moyenne »). etc…
Exemple de strobiloïde portant sur un seul pays (France)

Strobiloïde du revenu et du patrimoine en francs 2000

Source : Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, n°79, 4/2001, p. 315. Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2001-4-page-315.htm

Exemples de strobiloïdes portant sur plusieurs pays
  • Comparaison de deux pays sur un même strobiloïde à deux dates différentes :

Source : Louis Chauvel, « Sur les strobiloïdes, courbes de répartition : jalons pour une analyse comparative internationale et diachronique des inégalités économiques », Document de travail OFCE,1995, p.12. Disponible en ligne : http://louis.chauvel.free.fr/strobioloidesdoctravailINEGALI2.pdf

  • Comparaison de plusieurs strobiloïdes croisant dates et pays différents :

Note : à gauche est l’ancienne date (par exemple pour la Suède, il faut lire 1981), à droite la plus récente (pour la Suède 2011) en trait plein et les pointillés permettent de repérer les changements intervenus.

Source : Louis Chauvel, « Moyennisation ou polarisation ? La dynamique des classes moyennes en France dans un monde globalisé », Cahiers français, 2014, n°378, p. 24. Disponible en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/0900004037807/0900004037807_EX.pdf

Voir aussi l'exemple tiré de Louis Chauvel, « Classes moyennes, Le grand retournement », Le Monde, Focus, mercredi 3 mai 2006. Disponible en ligne : http://www.louischauvel.org/LeMondeclassesmoyennes.pdf

Ancienne version3)

 

1.3. Panorama des inégalités : état des lieux et évolutions

Nous avons vu plus haut la définition des inégalités. Ajoutons ici que l'on distingue deux grandes catégories/types d'inégalités : les inégalités économiques et les inégalités sociales (qu'on appelle parfois inégalités sociales et culturelles).
En ayant les principaux instruments de mesure en tête, nous pouvons essayer de faire un bilan de la situation des inégalités aujourd'hui.

[1.3.1.] Des inégalités multiples
Remarque : on parle d'inégalités multiples, multiformes, multicritères… en référence à la grande variété des inégalités qui existent et que l'on regroupe en deux catégories (économiques et sociales)
=> Les inégalités économiques :

Les inégalités économiques renvoient à des inégalités en matière de revenus, niveau de vie et patrimoine.

Document. Courbe de Lorenz de la France

Sources des données :
Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2012 et séries longues, Insee Résultats n°164 Société, février 2015 – Distribution des revenus disponibles annuels des ménages - Masses détenues en 2012. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/irweb/irsocerfs2012/dd/excel/irsocerfs2012_DRD02.xls
Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2013 – Masse des niveaux de vie détenue par les x % les plus riches en 2013. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/figure/NATnon04246.xls. Autre source de données possible : DNV02.xls. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/irweb/erfs2006/dd/excel/erfs2006_DNV02.xls
Enquête patrimoine 2010 – Masse du patrimoine détenue par les x % les plus riches en 2010. Disponible en ligne : http://www.insee.fr/fr/ffc/figure/NATnon04244.xls

Premier type d'inégalités économiques, les inégalités de revenus :

Rappel :

Revenus

(Programme 1ES 2010, Démarches, savoirs et savoir-faire généraux pour le cycle terminal, Indications complémentaires ; Programme TES 2011, Acquis de première)

Selon John Richard Hicks, un économiste anglais :

« Le revenu d'une personne est ce qu'elle peut consommer durant une semaine sans s'appauvrir »4).

Source : John Richard Hicks, Value and Capital, Oxford University Press, 1946, 2ème édition (édition originale en 1939), p. 176.

Le revenu est donc un flux de ressources perçues par un agent économique (par opposition au capital/patrimoine qui constitue un stock), sans que cela entraîne une diminution de son patrimoine (il n'y a notamment pas de désépargne).

Revenus primaires

Les revenus primaires sont les revenus issus de la participation à la production (salaires, revenus du capital, revenus mixtes).

Revenus de transferts

(Programme 1ES 2010, Notions ; Programme TES 2011, Acquis de première)

Remarque : on parle parfois, mais peu souvent, de revenus secondaires.

Les revenus de transfert sont les revenus issus du système de protection sociale (allocations familiales, pensions de retraite…), autrement dit ils correspondent aux prestations sociales perçues par les ménages.

Revenu disponible :

(Programme 2nde 2010, Notions)

Revenu disponible brut (RDB)

Le revenu disponible brut (RDB) est le revenu disponible pour la consommation et l'épargne des ménages.

RDB = Revenu primaire + prestations sociales - cotisations sociales - impôts sur le revenu, le patrimoine, etc.

Pour aller plus loin :

 

Les principaux revenus sont ceux du travail, il est donc intéressant de comparer les salaires selon les différentes catégories socioprofessionnelles.

Document. Salaires mensuels moyens et répartition des effectifs en EQTP (équivalent temps plein) en euros et en %

Salaires pas PCS

nd : non disponible.
1. Effectifs également en équivalent temps plein (EQTP).
2. Y compris chefs d'entreprise salariés.
Champ : France, salariés en équivalent temps plein du privé et des entreprises publiques, y compris les bénéficiaires de contrats aidés et de contrats de professionnalisation. Sont exclus les apprentis, les stagiaires, les salariés agricoles et les salariés des particuliers employeurs.
Source : Insee, DADS, fichier semi-définitif. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3135908

Il y a également les inégalités de niveau de vie, qui ont l'avantage de mettre en relation les revenus et les besoins de consommation des ménages selon leur taille :

Niveau de vie

Le niveau de vie est défini comme le rapport du revenu disponible du ménage au nombre d'unités de consommation (UC).
Le niveau de vie est une notion plus large que celle de revenu. En effet, il ne s'agit pas seulement de considérer le montant du revenu détenu par un ménage, mais de le mettre en relation avec les besoins de celui-ci. De ce fait, le niveau de vie permet une appréciation du bien-être apporté au ménage par le revenu, notamment en terme de capacité de consommation.

Les unités de consommation (UC) sont un système de pondération permettant de comparer les niveaux de vie de ménages de tailles ou de compositions différentes. Pour cela, chaque individu, membre du ménage considéré, se voit attribuer un coefficient. Le niveau de vie est alors la moyenne coefficientée du ménage.
Pourquoi décider d'une échelle différenciée ?
Lorsqu'il plusieurs individus vivent au sein du ménage, ils partagent la consommation de certains biens, qui n'ont pas besoin d'être acquis en plusieurs exemplaires (ce qui serait le cas si les individus vivaient séparément).
C'est particulièrement vrai pour les biens durables (il y aura un seul réfrigérateur, lave-linge…). De même, le ménage réalise certaines économies d'échelle dans l'acquisition des biens de consommation courante (le prix au kilo d'un paquet de pâtes de 1kg est moins élevé qu'un paquet de 250g, le pack de yaourt de 12 est moins cher que celui de 4 et, a fortiori, que le yaourt à l'unité…).

Ainsi, l'échelle définit par l'OCDE retient la pondération suivante :

  • 1 UC pour le premier adulte du ménage ;
  • 0,5 UC pour les autres individus de 14 ans ou plus ;
  • 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans.

Par un exemple, un ménage de deux adultes, un enfant de 15 ans et un autre de 7 ans et possédant un RDB de 3500 euros a le niveau de vie suivant :
Niveau de vie = 3500/(1 + 0,5 +0,5 +0,3) = 3500/(2,3) = 1521,74 euros par individu.
Chacun des membres du ménage a donc un niveau de vie de 1521,74 euros (attention : le niveau de vie n'est pas différent en fonction du coefficient attribué pour chacun, il s'agit d'une moyenne applicable à l'ensemble des membres du ménage).

 
Document. Distribution et niveaux de vie moyens par décile en France en 2016 en euros 2016 constants

Note : ces deux indicateurs appartiennent à la liste des indicateurs d'inégalité préconisés par le groupe de travail “Niveaux de vie et inégalités sociales” du Cnis.
Lecture pour les niveaux de vie moyens : en 2016, les individus dont le niveau de vie est inférieur au 1er décile disposent d'un niveau de vie moyen de 8 380 euros.
Lecture pour la distribution par déciles : en 2016, les 10 % d’individus les plus modestes ont un niveau de vie inférieur à 11 040 euros.
Champ : France métropolitaine, individus vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.
Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux 2012 à 2016, Niveau de vie moyen par décile en 2016 & Distribution des niveaux de vie en 2016. Disponibles en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2417897 & https://www.insee.fr/fr/statistiques/2416808

Il y a enfin les inégalités de patrimoine :

Patrimoine

Au sens général, le patrimoine est un ensemble d'éléments dont un individu, un groupe ou une institution possède les droits de propriété.
Pour un ménage, ces éléments, lorsqu'ils sont positifs, peuvent être :

  • des biens immobiliers (terrains, maisons, appartements…)
  • des meubles
  • des équipements ménagers
  • des œuvres d'art
  • des véhicules
  • des placements financiers et des créances (actions, obligations, Assurance-vie, Comptes de dépôts et d'épargne, créances détenues sur des tiers…
  • des droits de propriété intellectuelle (droits d'auteur, brevets…)

Cependant, les éléments du patrimoine peuvent être négatifs, ce qui est le cas de l'ensemble des dettes vis-à-vis des tiers.

 
Quels liens y a-t-il entre revenu et patrimoine ?
Le revenu est donc un flux qui vient augmenter le stock que constitue le patrimoine (rappelez-vous la “baignoire”…). Cependant, on peut aussi noter que le patrimoine génère des revenus.
Remarque : un patrimoine important n’est pas toujours synonyme de revenus importants (c'est le cas, par exemple, des agriculteurs exploitants dont l'exploitation peut représenter une valeur foncière importante tout en ayant des revenus relativement faibles).
Document. Patrimoine moyen par décile en 2015 en France

http://www.insee.fr/fr/statistiques/2412847

Lecture : début 2015, les 10 % des ménages aux patrimoines les moins élevés détiennent un patrimoine brut moyen de 2 000 euros, et de 200 euros hors patrimoine restant.
Note : le patrimoine brut correspond au montant total des actifs détenus par un ménage incluant la résidence principale, les éventuelles résidences secondaires, l’immobilier de rapport - c’est-à-dire rapportant un revenu foncier -, les actifs financiers du ménage, et les actifs professionnels lorsque le ménage a une activité d’indépendant à titre principal ou secondaire. Il inclut également depuis 2010 le patrimoine “restant” : les biens durables (voiture, équipement de la maison, etc.), les bijoux, les œuvres d’art et autres objets de valeur. Des améliorations de l'enquête entraînent une rupture de série à partir de 2010 (suréchantillonnage des hauts patrimoines, collecte du patrimoine “restant”).
Champ : France (hors Mayotte), ménages ordinaires.
Source : Insee, enquête Patrimoine. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2412847/reve-patrim-moy-decile.xls

Un chiffre pour illustrer les inégalités dans le monde :
« Les richesses sont plus concentrées que jamais : l’année dernière [en 2018], seulement 26 personnes possédaient autant que la moitié la moins bien lotie de la population mondiale (soit 3,8 milliards de personnes), contre 43 personnes l’année précédente [en 2017] ».
Source : Oxfam, « Services publics ou fortunes privées », janvier 2019. Disponible en ligne : https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2019/01/rapport-davos-2019-oxfam-services-publics-ou-fortunes-privees.pdf
=> Les autres formes d’inégalités, les inégalités sociales (et culturelles) :

Les inégalités sociales (et culturelles) ne manquent pas. Elles renvoient notamment aux modes de vie, à l’éducation et à l’emploi, à la santé, au pouvoir politique, au genre, etc.

On peut commencer pas regarder les inégalités devant l'éducation :

Document. Les inégalités d’accès aux diplômes entre enfants d’ouvriers et de cadres

1. Les proportions sont calculées en excluant les étudiants pour lesquels l’origine sociale n’est pas renseignée, soit 15 % d’entre eux en moyenne. Cette proportion est inférieure à 20 % sauf dans les écoles de commerce (36 %), les autres écoles et formations (33 %) et les écoles artistiques (47). 2. Y compris les formations d’ingénieurs en partenariat. 3. Données 2016 reconduites pour 2017 pour les formations paramédicales et sociales. 4. Comprend notamment les établissements privés d’enseignement universitaire, les écoles paramédicales et sociales, les ENS, les écoles juridiques et administratives, etc. En 2000, les étudiants des IUFM sont aussi comptabilisés dans cette catégorie, tandis que les étudiants des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) en 2017 sont inclus dans les effectifs universitaires.
Champ : France. Sources : Mesri-Sies, systèmes d’information SISE et Scolarite ; enquêtes menées par le Sies sur les établissements d’enseignement supérieur ; enquêtes spécifiques aux ministères en charge de l’agriculture, de la santé, des affaires sociales et de la culture in Insee Références, édition 2018 - Fiches – Population. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/3646124/FPORSOC18k6_F2.6.pdf

Il y a également les inégalités face à la santé :

Document. Espérance de vie à 35 ans par sexe pour les cadres et les ouvriers

Lecture : en 2009-2013, l'espérance de vie à 35 ans des femmes cadres est de 53,
Champ : France métropolitaine.
Source : Insee, Échantillon démographique permanent. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908110

Il y a bien sûr les inégalités de genre :

Document. Principaux temps sociaux au cours d'une journée moyenne selon l'activité de la femme en 2010 en heures et minutes

Lecture : en 2010, les personnes d'âge actif passent en moyenne 11 h 26 par jour à dormir, manger et se préparer.
Note : les durées relatives à 1999 ont été recalculées de façon à rendre possible la comparaison des deux enquêtes malgré des nomenclatures différentes.
Champ : France métropolitaine, personnes âgées de 15 à 60 ans, hors étudiants et retraités.
Source : Insee, enquêtes Emploi du temps. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2417051

Il de nombreux autres exemples d'inégalités sociales, qu'elles concernent les pratiques culturelles, le confort de vie ou encore le monde politique, etc.

Quelques exemples que vous pouvez consulter :

Inégalités dans les pratiques culturelles

http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/08resultat.php

Document. Équipement des ménages en biens durables selon différentes caractéristiques de 2004 à 2018

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2385827

Les inégalités chez les représentants politiques

https://yam.dyndns-wiki.com/blog/document_theme_inegalites

De l'analyse des différentes inégalités, il ressort que les inégalités prennent de nombreuses formes et ce d'autant plus qu'elles peuvent être croisées (on peut par exemple regarder les inégalités dans le monde politiques en fonction des catégories sociales mais aussi en fonction du genre, de l'origine géographique, etc.). Il importe désormais de montrer qu'elles sont également cumulatives :

[1.3.2.] Des inégalités cumulatives

Ainsi, des situations défavorables […], se traduisant par des travaux déqualifiés ou des emplois instables, s'accompagnent presque toujours de faibles rémunérations et d'un faible niveau de vie ; elles valent à ceux qui les exercent une morbidité(1) et une mortalité supérieures à la moyenne ; ceux-ci n'accèdent de surcroît que difficilement à de bonnes conditions de logement ; ils n'ont pratiquement aucune chance de bénéficier d'une promotion par le biais de la formation professionnelle continue ; et leurs loisirs se réduiront de même à peu de chose. Dans ces conditions, la scolarité de leurs enfants est hypothéquée(2) dès le départ ; ils se trouvent privés des conditions matérielles, relationnelles, même affectives qui seules permettent la construction d'un projet de vie ; et ils ont toute (mal)chance de se retrouver dans la même situation que celle de leurs parents. En un mot, le handicap appelle le handicap : celui qui subit les effets des inégalités sociales sous un angle déterminé risque fort de les subir sous d'autres angles. Au terme de cette accumulation de handicaps se profile l'éviction(3) des modes de vie considérés comme normaux dans notre société, qui marque le degré extrême de la pauvreté.

1. morbidité : caractère de ce qui est relatif à la maladie.
2. hypothéquée : ici fragilisée.
3. éviction : mise à l'écart.
Source : Alain Bihr, Roland Pfefferkorn, Le système des inégalités, Collection Repères, La Découverte, 2008. in Sujet Bac SES, France métropolitaine, 2015, rattrapage)

Que permet de montrer ce document ?

Les inégalités sont souvent cumulatives, on dit parfois que ces inégalités font système ou qu'elles relèvent d'un processus cumulatif. Elles peuvent en effet se cumuler entre elles mais aussi dans le temps.
Pour commencer, les différents types d'inégalités peuvent se cumuler :
- Ainsi, des inégalités économiques peuvent engendrer d'autres inégalités économiques. Il est par exemple facile de comprendre que des inégalités de revenus peuvent être à l'origine d'inégalités de patrimoine (ou du moins les renforcer). En effet, un individu au revenu élevé aura davantage de facilité à épargner tout en satisfaisant ses besoins, il pourra ainsi se constituer un patrimoine. Ce patrimoine acquis pourra à son tour générer des revenus supplémentaires créant un cumul dans l'autre sens.
- Il en va de même des inégalités sociales entre elles : par exemple, les inégalités dans les pratiques culturelles (lecture, fréquentation des musées, voyages…) contribuent à renforcer le capital culturel des individus. Or ce capital pourra être valorisé dans le cadre de l'institution scolaire, engendrant des inégalités de réussite à l'école. L'inverse est également vrai puisque ce sont souvent les plus diplômés qui ont les plus de pratiques culturelles.
- Surtout, les inégalités économiques peuvent engendrer des inégalités sociales et inversement : Par exemple, les inégalités de revenus donnent accès à une meilleure prise en charge médicale, à la fois en termes de traitements et de prévention. Elles engendrent alors des inégalités en termes d'espérance de vie, notamment d'espérance de vie en bonne santé.
Autre exemple, plus complexe, les inégalités de revenus engendrent des inégalités dans les conditions de logement (surface, nombre de pièces, localisation…). Ces dernières jouent à leur tour un rôle non négligeable dans la réussite scolaire des enfants (possibilité d'avoir un espace de travail au calme…), donc dans les inégalités à l'école. Ces inégalités à l'école peuvent jouer un rôle dans l'autre sens, puisque le niveau de diplôme ainsi acquis à un impact direct sur la rémunération, une fois les individus intégrés au marché du travail.

À partir de là, il est facile de comprendre que les inégalités ont également tendance à se reproduire dans le temps : les parents favorisés peuvent transmettre un patrimoine à leurs enfants, ce qui leur donnera un avantage dès leur début de vie. De même, les enfants peuvent bénéficier du capital culturel de leur parents pour les aider à réussir scolairement. Il peuvent aussi se voir faciliter la recherche d'emploi s'ils bénéficient du réseau social de leurs parents…

[1.3.3.] Une évolution contrastée des inégalités

Moyennisation ou polarisation de la société ? Lorsque l'on étudie l'évolution des inégalités sur longue période, la question se pose de savoir si l'on assiste à ce que le sociologue Henri Mendras a appelé la « moyennisation » de la société française ou – et la question a retrouvé une actualité notamment ces dernières années avec la crise économique – à une « polarisation » de celle-ci.

Le processus de « moyennisation » décrit par Henri Mendras dans La Seconde Révolution Française (1988) correspond, comme son nom l'indique, en la constitution d'une vaste classe moyenne, occupant près des trois quarts de la population, et qui résulte, durant les Trente Glorieuses, de l'éclatement des frontières entre les paysans, les ouvriers, les bourgeois et les classes moyennes (indépendants, petits fonctionnaires, professeurs, salariés du privé non ouvriers) telles qu'elles apparaissaient dans la première moitié du XXe siècle. S'il y a effectivement moyennisation, c'est donc que les inégalités ont tendance à s'amenuiser (on devient tous “moyens”). À l'inverse, parler de polarisation implique une augmentation des inégalités qui conduit à la séparation des individus en différents groupes sociaux, groupes ayant des positions et des intérêts distincts (les “pôles”).

Nous reviendrons plus tard sur la question des classes sociales et de leurs évolutions.

Cet éclatement des frontières entre les classes sociales est directement lié à la croissance économique soutenue qui caractérise la période des Trente Glorieuses. Elle est également liée à la transformation des valeurs et des normes sociales, en particulier la montée de l'individualisme. Elle est enfin liée [voir plus bas dans le chapitre] à une mobilité sociale plus forte qui nourrit les espoirs de la population d'une ascension sociale.

L'effet de la croissance économique sur les inégalités économiques est bien résumé par la courbe de Kuznets.

Courbe de Kuznets

Simon Kuznets, Prix Nobel d’économie en 1971, analyse la relation entre croissance économique et inégalités économiques au travers de ce que l'on appellera la « courbe de Kuznets » :

Nous voyons donc […] que dans les pays développés la répartition du revenu dépend de facteurs très divers dont les uns favorisent une réduction de l’inégalité alors que les autres la renforcent. Il semble raisonnable de supposer qu’au début de la croissance, l’inégalité a augmenté dans la distribution du revenu total en raison de l’expansion rapide du secteur non agricole et de l’apparition de disparités de revenus plus accusées en son sein. Il est plus fondé encore de faire valoir que la réduction récente de l’inégalité des revenus provient de l’effet conjugué d’une réduction des disparités dans la production par travailleur, du déclin de la part que le revenu provenant de la propriété représente dans le revenu total des ménages et, enfin, des changements structurels qui ressortent des mesures arrêtées dans le domaine de la Sécurité Sociale et du plein-emploi.

Source : Simon Kuznets, La croissance économique moderne, 1971.

Pour commencer, il faut se souvenir que le mécanisme sur lequel repose la courbe de Kuznets est principalement lié aux modifications sectorielles des économies (notamment les mécanismes du déversement et de la destruction-créatrice).

  • Phase 1 : L'économie croît et les inégalités également

Au départ, seul le secteur agricole est développé. Lorsque l'économie commence à croître, le secteur non agricole (Kuznets pense surtout au secteur industriel, mais on peut également faire référence aux services) se développe.

Conséquences :

⇒ Le nouveau secteur étant plus productif que le secteur agricole, il génère davantage de gains. Cela conduit à une augmentation des inégalités par augmentation des écarts de revenu entre le nouveau secteur et l’ancien secteur.
⇒ De plus, au sein du nouveau secteur, ce sont les agents économiques les plus productifs qui voient leurs revenus augmenter le plus. Cela se traduit par une augmentation des écarts de revenu au sein du nouveau secteur.

Au total, on voit les inégalités se creuser entre l'ancien et le nouveau secteur ainsi qu'au sein même du nouveau secteur.

  • Phase 2 : L'économie continue à croître, mais les inégalités se résorbent

Au bout d’un certain niveau de croissance, l'économie arrive à maturité.

Conséquences :

⇒ Innovations et amélioration du capital humain se sont étendues à l'ensemble de la production, entraînant une réduction des écarts de productivité entre les deux secteurs et au sein du nouveau secteur.
⇒ Par ailleurs, les moins productives ont désormais disparu (destruction-créatrice) et les agents économiques ont fini de se reconvertir (déversement et imitation), entraînant une baisse des gains des “pionniers” du nouveau secteur.
⇒ Enfin, l'intervention de l'État-providence permet le développement de la sécurité sociale, des politiques de redistribution et de lutte contre le chômage.

Au total, les mécanismes de marché ont réduit les inégalités entre les deux secteurs et au sein de chacun des secteurs. Les inégalités de salaire et de patrimoine ont donc tendance à diminuer. La création d’une protection sociale généralisée renforce cette diminution. Bref, les inégalités globales baissent.

Représentation graphique de la courbe de Kuznets :

version odp

 

http://piketty.pse.ens.fr/files/capital21c/pdf/supp/GS9.5.pdf

Document. La courbe de Kuznets appliquée à la France

[…] Le premier enseignement de l'histoire comparative de l'inégalité […] est que la « courbe de Kuznets » n'existe pas : l'idée selon laquelle une tendance naturelle et irrépressible à la diminution des inégalités serait à l'oeuvre dans les phases avancées du développement économique ne résiste dans aucun pays à l'épreuve des faits. L'inégalité des patrimoines, et par conséquent l'inégalité des revenus du capital qui en sont issus, se caractériseraient plutôt par une tendance naturelle à l'élargissement, et seuls des chocs extérieurs ou des interventions étatiques, au premier rang desquels figure l'impôt progressif, semblent pouvoir permettre d'inverser radicalement ce mouvement naturel. Quant à l'inégalité des salaires, elle aurait plutôt tendance à se caractériser par une absence de tendance : les résultats obtenus pour la France, à savoir une très grande stabilité séculaire des inégalités salariales, ponctuée par de multiples fluctuations de court terme et de moyen terme, ont selon toute vraisemblance une portée beaucoup plus générale.

Source : Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle, Hachette Littératures, 2001, p. 810.

Document. La courbe de Kuznets contestée

[…] La « courbe de Kuznets », du nom de l'économiste américain Simon Kuznets qui proposa en 1955 cette théorie, permet de rendre compte de l'expérience française. En exploitant les statistiques issues des déclarations de revenus américaines des années 1913-1948, Kuznets fut amené à constater que la part des hauts revenus dans le revenu total s'était réduite de façon importante entre le début des années 1910 et la fin des années 1940, et c'est sur la base de cette observation qu'il formula l'idée de la « courbe de Kuznets ».
Selon cette théorie, les inégalités de revenus seraient partout appelées à suivre une « courbe en U inversé » au cours du processus d'industrialisation et de développement économique : à une phase de croissance des inégalités caractéristique des premières étapes de l'industrialisation, et qui aux États-Unis correspondrait au XIXe siècle, succéderait une phase de forte diminution des inégalités, qui aux États-Unis aurait commencé au début du XXe siècle. Les travaux de Kuznets eurent un retentissement considérable : il s'agissait du premier travail historique de grande envergure tentant de mesurer rigoureusement l'évolution des inégalités de revenus, et l'enjeu politique de ces découvertes, dans le contexte de la guerre froide, était évident.
La théorie de Kuznets a été fortement remise en cause depuis les années 1950, notamment du fait de la hausse tendancielle des inégalités de revenus observée aux États-Unis depuis les années 1970. Ce tournant des années 1980-1990 ne règle pas pour autant la question de la baisse des inégalités observée au cours de la première moitié du XXe siècle, et la « courbe de Kuznets » demeure dans les travaux historiques consacrés aux inégalités un point de référence incontournable. […]

Source : Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle, Hachette Littératures, 2001, p. 24-25.

Question :
Que cherche à montrer Thomas Piketty dans les deux documents précédents ? Tirez-en un bilan de l'évolution des inégalités dans les pays développés.

2. L’analyse théorique de la stratification sociale

Document. Cinq étages du monde parisien

Source : Charles-Albert Bertall, « Paris, le 1er Janvier 1845. Cinq étages du monde parisien », illustration publiée dans Le Diable à Paris, volume 2, Hetzel, 1846, p. 27. Disponible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55780382/f125.item.zoom

Le document précédent peut être vu comme une métaphore simplifiée de la stratification sociale de la société française du 19ème siècle, chaque étage représentant une strate différente de la société : aux membres de la bourgeoisie les plus favorisés reviennent les logements spacieux et facilement accessibles du 1ère étage (ils n'y a alors pas encore d'ascenseurs) quand les membres de la bourgeoisie moyenne occupent ceux du 2ème et ceux de la classe plus populaire, parfois en voie de paupérisation, ceux du 3ème. Les occupants du dernier étage, sont quant à eux déjà à la marge de la société. Enfin, ceux du rez de chaussée sont souvent constitués de domestiques et de concierges.

Dans le programme de 1ES, il été vu que les groupes sociaux étaient des ensembles d'individus distingués à la fois à partir de caractéristiques objectives (genres, âges , revenus, pratiques culturelles…), mais aussi subjectives (partages de valeurs/normes, sentiment d'appartenance…).
D'une certaine façon, lorsque l'on analyse la structure sociale, il est possible de considérer que les classes sociales – ou les strates sociales – correspondent à des formes spécifiques de groupes sociaux.
Dans tous les cas, cette analyse passe par la mise en lumière des causes de cette différenciation et de sa dynamique. En effet, toute société repose sur un système de stratification sociale (aucune société n'est parfaitement homogène), c'est-à-dire une division de la société en groupes sociaux (de droit ou de fait) fondée sur des inégalités de richesses, de pouvoir, de savoir, de prestige, etc.
Comme nous avons pu le voir dans la partie précédente, les critères de différenciation de ces groupes sont variés (sexe, âge, culture, profession, patrimoine, lieu de résidence…). Ainsi, on distingue dans la société des groupes d'individus qui se ressemblent parce que leur niveau de vie, leurs activités économiques, leurs comportements, leurs valeurs/normes sont très proches.
Par exemple, la division en classes sociales est un système de stratification, comme les sociétés d’ordres sous l’Ancien Régime ou le système de castes en Inde. Ces systèmes varient donc dans le temps et dans l'espace.

La stratification sociale se traduit par une hiérarchisation des positions et des relations.
Une hiérarchie sociale correspond au fait que la société soit divisée en plusieurs groupes sociaux qui regroupent des individus qui ont des points communs et que ces groupes aient des avantages et des désavantages distincts.
Par exemple, la nomenclature des PCS présente une hiérarchie sociale (les PCS renvoyant à des statuts, des salaires différents, etc.) qui se base sur les différences de profession bien que certaines PCS ne soient pas réellement hiérarchisées (comme pour les PCS des ouvriers/employés).

C'est à partir de ce constant que les sociologues se sont interrogés sur le problème de la structuration sociale, c’est-à-dire quels sont les grands groupes sociaux, quelle place ils occupent dans la hiérarchie, comment sont-ils construits ?

Commençons par mettre en lumière le fait que la stratification sociale n'est ni l'apanage de notre société ni celui de notre époque. La stratification est en effet un phénomène social universel. Dans toutes les sociétés, les individus se répartissent dans différents groupes et occupent des positions sociales hiérarchisées.
Pour appuyer cette idée, il est possible de porter le regard vers une hiérarchie sociale millénaire, à savoir la société de castes qui prévaut en Inde, abolie officiellement, mais qui marque encore aujourd’hui les mentalités et les comportements ; l’appartenance à une caste déterminant aussi bien les conditions de travail que le degré de pureté religieuse :

Les castes

Remarque : Le terme de caste vient du portugais et désigne « ce qui est non mélangé ».

La société indienne est ainsi divisée en 4 + 1 castes, qui sont :
1. Les brâhmanes (se rapprochent du clergé en ce qu'ils ont un lien au sacré), prêtres, enseignants ;
2. Les kshatriya ou râjanya (se rapprochent de la noblesse en ce qu'ils détiennent le pouvoir politique), roi, princes, administrateurs, guerriers ;
3. Les vaishya ou ârya (clan), artisans, commerçants, entrepreneurs, agriculteurs ;
4. Les shudra ou sudra, serviteurs.
+ Les dalit, intouchables.

Même si l'intouchabilité est abolie en 1947, date de l'indépendance indienne vis-à-vis de l'Angleterre (les citoyens deviennent égaux en droit), puis la constitution indienne de 1950 abolit le système de castes officiellement (L’article 15 interdit toute discrimination basée sur la caste, le sexe, le lieu de naissance ou la religion ; L’article 16 abolit l’intouchabilité), l'esprit des castes exerce encore une puissante influence sur les mentalités.

Plus proche de nous, un autre exemple est celui des ordres (clergé, noblesse et tiers état), qui a prévalu en France, système fondé sur l’honneur dans les sociétés d’Ancien Régime :

Les ordres

L'Ancien Régime (XVIIIe siècle, jusqu'à Louis XVI) est fondé sur 3 grands ordres :

1. Le clergé,
2. La noblesse,
3. Le tiers-état.

Castes et ordres ont des traits en commun :

À l'inverse de ces formes de stratification institutionnalisées que sont les castes et les ordres (même si elles conservent parfois une certaine actualité), se développent, dans les sociétés modernes des formes de hiérarchisation moins formelles – et donc plus difficiles à saisir – que sont les classes sociales :

Classes sociales

(Programme TES 2011, Notions)

Le concept de classe sociale est utilisé, dans un sens général, pour désigner un ensemble de caractéristiques, de comportements, identiques ou comparables, chez ses membres. Au sens restreint, la classe s'oppose à la notion de castes ou ordres, marqués par la transmission héréditaire et une mobilité sociale faible ou nulle.

Elle marque l'existence d'une hiérarchie sociale au sein de laquelle chaque classe occupe une place, ce qui explique une mobilité sociale toujours faible. Cette position n'est cependant pas immuable et dépend des caractéristiques de la société.

Après Marx, on distingue classes en soi et pour soi :

  • Classe « en soi » : la classe en soi se définit par rapport à un certain nombre de critères (niveau, conditions et/ou modes de vie). Ainsi, les « bourgeois » et les « prolétaires » sont définis chez Karl Marx par leur place dans les rapports de production.
  • Classe « pour soi » : elle se définit par l'existence d'une conscience de classe. Les individus éprouvent un sentiment d'appartenance à une classe et avec laquelle ils partagent les intérêts communs.

À côté de cette approche réaliste des classes sociales, qui considère qu'une classe a une existence de fait et non de droit, il existe aussi des approches nominalistes dans lesquelles la conscience de classe n’est pas nécessaire pour parler de classe sociale. C'est le cas chez Weber où la classe est le résultat d'une construction.

 

2.1. L'analyse traditionnelle des classes sociales

Dans la tradition sociologique, deux principales conceptions des classes sociales s'opposent donc – ou, selon le point de vue, se complètent – : celle de Karl Marx et de Max Weber.

Document. Qu'est-ce qu'une classe sociale ?

Dans la définition des classes sociales, deux grands courants s'affrontent. La tradition marxiste y voit des collectifs définis par leur place dans le système économique. Elle oppose les capitalistes, propriétaires des moyens de production, aux prolétaires, qui n'ont que leur force de travail à vendre. Le conflit social central est lié à la répartition de la plus-value tirée de l'exploitation du travail humain, à l'origine de toute valeur. Pour Marx, les classes sociales ne sont pas seulement un outil de description sociologique, elles sont au coeur de son explication du mouvement de l'histoire. L'appartenance de classe façonne les valeurs et les pratiques des individus(1). A l'opposé, la tradition webérienne suppose que les classes sociales sont des groupes d'individus semblables, partageant une même dynamique (Max Weber parle de Lebenschancen ou « chances de vie »), sans qu'ils en soient forcément conscients. Pour lui, la classe sociale est constituée par des individus(2) rassemblés en fonction des critères que l'on juge les plus discriminants (le diplôme, le revenu, le patrimoine, etc.) ; c'est une construction sociale et non une donnée tangible.
Les marxistes attendent beaucoup des classes, alors que les webériens y voient un mode de découpage parmi d'autres. Les uns conçoivent difficilement des classes sans conscience de classe, des groupes visibles et en mesure de construire leur propre histoire collective(3). Les autres ne voient dans ces groupes qu'un empilement de strates. Par un curieux retournement, l'approche marxiste semble aujourd'hui trop exigeante : elle porte souvent à conclure qu'il n'existe plus de classes, faute de conflit majeur entre groupes sociaux. En revanche, si l'on suit Weber, la notion demeure valable dès lors que des groupes inégaux aux destins sociaux distincts sont repérés. Oui, les classes existent toujours, même si leur contenu social et symbolique est plus limité.
Entre Marx et Weber, on peut trouver un juste milieu, une définition qui repose sur des critères tangibles. On peut parler de classes sociales pour des catégories qui sont à la fois inégalement situées dans le système productif et marquées par une forte identité. Cette identité peut avoir trois facettes. L'identité temporelle : la permanence de la catégorie, une mobilité sociale réduite, de faibles liens avec les autres classes, notamment par le mariage (homogamie). L'identité culturelle : le partage de symboles communs, de modes de vie et de façons de faire, qui font qu'on se reconnaît au sein d'une même classe. Enfin, l'identité collective : une capacité à agir ensemble de façon conflictuelle, afin de faire reconnaître les intérêts de la classe. Cette définition se fonde sur l'existence d'inégalités, en particulier (mais pas seulement) par rapport à la propriété des moyens de production. Une situation inégalitaire n'est pas une condition suffisante, puisque, comme l'a indiqué Marx, la classe ne se réduit pas à la taille du porte-monnaie (même si elle y contribue), mais intègre des éléments subjectifs, culturels et collectifs, porteurs de conflits. Les inégalités dont il est question ne sont pas simplement monétaires : au-delà de la propriété des moyens de production, les qualifications reconnues et la maîtrise des processus de production sont tout aussi essentielles. Cela conduit à prendre en compte, comme le fait Bourdieu, des ressources multiples, qu'il s'agisse du capital économique (le revenu et le patrimoine), culturel (les diplômes notamment), social (la famille, les amis, les collègues) et symbolique (les valeurs).

(1) Cette tradition est parfois qualifiée de « holiste » (du grec holon = tout).
(2) Une démarche qualifiée d'individualiste et de nominaliste.
(3) On parle de classes « en soi » (en tant que telles) et « pour soi » (mobilisées pour défendre leurs intérêts).
Source : Louis Chauvel, Alternatives économiques, n°207, Octobre 2002.

Comme le montre bien Louis Chauvel, Marx et Weber adoptent des points de vue très différents. Nous verrons que leurs analyses s'opposent non seulement dans leurs conclusions mais également dans le type d'approches qu'elles adoptent.

Il est utile ici de se référer au cours de Philosophie pour mieux comprendre les différentes approches évoquées ci-dessous : individualisme/holisme ; réalisme/nominalisme.
L'approche de Marx

C'est souvent à Karl Marx (1818-1883) que l'on attribue la primeur de l'analyse en terme de classes sociales (même si le terme est déjà employé avant lui).
Son analyse peut être qualifiée de holiste et de réaliste :
Les analyses holistes (du grec holos, totalité) adoptent en effet une approche globale de la société, donc de la structure sociale. Selon ces analyses, la société n’est pas la simple agrégation des comportements individuels, elle a des caractéristiques qui s’imposent aux individus (c'est de là que découle l'idée de Durkheim selon laquelle il faut étudier les “faits sociaux comme des choses”, choses qui sont extérieures aux individus).
Selon l'approche réaliste, les concepts théoriques élaborés par les scientifiques reflètent des réalités objectives, réalités que l’on peut constater et même souvent mesurer.
Ainsi, dans l’analyse de Marx, les classes sociales ont non seulement une existence indépendamment de l'analyse qui en est faite, mais elles ne se résument pas aux caractéristiques des individus qui les composent.

Document. L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes...

L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte.
Dans les premières époques historiques, nous constatons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une échelle graduée de conditions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres de corporation, des compagnons, des serfs et, de plus, dans chacune de ces classes, une hiérarchie particulière.
La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.
Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. […]
A mesure que grandit la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. […]
L'existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du Capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat.

Source : Karl Marx et Frederich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, 1848.

 

Comme le montre le texte précédent, pour le moins célèbre, de Karl Marx, c'est en étudiant le développement de l’industrie et du capitalisme dans la société européenne du XIXème siècle qu'il en vient à développer son analyse en terme de classes sociales.
Dans son analyse, les classes sociales résulte de rapports sociaux de production spécifiques à la société capitaliste, rapports caractérisés par la propriété privée des moyens de production et par la subordination du travail au capital.
À partir de là, Marx distingue deux classes sociales principales, la Bourgeoisie capitaliste et le Prolétariat :
- la Bourgeoisie capitaliste est regroupe les propriétaire des moyens de production. Elle est la classe dominante.
- les Prolétaires quant à eux, ne possédant que leur force de travail, sont amenés à la vendre aux capitalistes. Ils sont la classe dominée.
De l'antagonisme entre ces deux classes sociales, qui luttent pour l'appropriation des moyens de production, naissent pour Marx les conflits sociaux à l'origine du changement social.
En effet, les capitalistes sont à même de s'approprier la richesse créée par les prolétaires (la plus-value), ne laissant aux prolétaires que le revenu de subsistance nécessaire au renouvellement de leur force de travail. Les seconds sont donc exploités par les premiers.
Seule la lutte des classes est alors à même de renverser le rapport d'exploitation. Ce renversement n'est possible que si les prolétaires acquièrent une conscience de classe, autrement dit s'ils passent d'une classe “en soi” à une classe “pour soi” (voir plus haut).

On comprend dès lors que la notion de classe sociale chez Marx est indissociable de celle de lutte des classes.

On retrouvera l'analyse de Marx dans la partie sur les conflits sociaux.
L'approche de Weber

L’analyse de Max Weber (1864–1920) se démarque de celle de Karl Marx sur plusieurs points.
D’abord, elle adopte une approche individualiste et nominaliste, s'opposant ainsi à celle de Marx :
Les analyses individualistes partent de l’étude des comportements individuels pour expliquer la structure sociale. Selon ces analyses, il importe de comprendre les choix des individus, choix qui sont à l’origine de leur position sociale. La structure sociale est alors le résultat de l’agrégation de ces choix au niveau de la société.
Selon l’approche nominaliste (par opposition au réalisme), les concepts théoriques n'ont pas de réalité, ce ne sont que des constructions intellectuelles permettant aux scientifiques d’appréhender et de comprendre le réel. Elles ont donc seulement une valeur descriptive.
Remarque : on retrouve une telle conception dans la construction des modèles de la théorie économique.

Ensuite, Max Weber propose une analyse de la structure sociale pluridimensionnelle alors que celle de Karl Marx est essentiellement centrée sur la sphère économique. En effet, pour situer un individu dans la hiérarchie sociale, il est possible de se référer à trois dimensions/champs différents :

Document. Les classes

Nous appelons « situation de classe » la chance typique qui, dans un régime économique donné, résulte du degré auquel et des modalités d'utilisation selon lesquelles un individu peut disposer (ou ne pas disposer) de biens ou de services [Leistunsqualifikationen] afin de se procurer des rentes ou des revenus : chance [qui doit être évaluée sous les trois chefs] (a) de sa capacité à se procurer ces biens, (b) de ses conditions de vie extérieure, (c) de sa destinée personnelle.
Nous entendons par « classe » tout groupe d'individus qui se trouvent dans la même situation de classe. […] Peuvent exister des sociations d'individus ayant des intérêts de classe (groupements de classe). Mais ce n'est pas nécessairement le cas : la situation de classe et la classe n'indiquent en elles-mêmes que des états de fait, des situations d’intérêts typiques, égales, dans lesquelles l’individu isolé se trouve placé ainsi que d’autres, nombreux. En principe, le pouvoir de disposer de toutes sortes de biens de consommation, de ressources, de patrimoines, de moyens de protection, de services, constitue chaque fois autant de situations de classe particulières. […] Les passages de l'une à l'autre situation sont plus ou moins faciles et révocables ; l'unité de la classe « sociale » s'affirme, de ce fait, de façon variable.

Source : Max Weber, Économie et société, 1921, Plon, chap. 4, sect. 1, §1-2.

 
Document. Les groupes de statut

Nous appelons « condition » [ständische Lage] un privilège positif ou négatif de considération sociale revendiqué de façon efficace, fondé sur : a) le mode de vie, par conséquent b) le type d'instruction formelle […] et la possession des formes de vie correspondantes, c) le prestige de la naissance ou de la profession. […] La condition peut reposer sur une situation de classe certaine ou équivoque mais elle n'est pas déterminée par elle seule […].
Nous appelons « ordre » [Stand] une pluralité d’individus qui, au sein d’un groupement, revendiquent efficacement a) une considération particulière – éventuellement aussi b) un monopole particulier à leur condition.

Source : Max Weber, Économie et société, 1921, Plon, chap. 4, sect. 1, §3.

 
Document. Les partis

On doit entendre par partis des sociations reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels, ou de réaliser les deux ensemble. Ils peuvent constituer des associations éphémères ou permanentes, se présenter dans des groupements de tout genre et former des groupements de toute sorte : clientèle charismatique, domesticité traditionnelle, adhésion rationnelle (en finalité ou en valeur, « fondée sur une représentation du monde »). Ils peuvent être de préférence orientés vers des intérêts personnels ou des buts objectifs. En pratique, ils peuvent en particulier, officiellement ou effectivement, se borner à l’obtention du pouvoir pour leurs chefs et à l’occupation des postes de la direction administrative par leur appareil (parti de patronage [Patronage-Partei]). Ils peuvent surtout s’orienter consciemment, dans l’intérêt d’ordres ou de classes (parti d’ordre ou de classe), ou vers des buts matériels concrets ou vers des principes abstraits (parti inspiré par une représentation du monde [Weltanschauungs-Partei]. […]

Source : Max Weber, Économie et société, 1921, Plon, chap. 3, sect. 9, §3.

 

La position d'un individu dans l'ordre économique n'est qu'un des éléments de la position sociale des individus. Autrement dit, elle ne se réduit pas à la « la situation de classe ».

2.2. Prolongements contemporains et pertinence de l'analyse des classes sociales

L'approche de Bourdieu
Capital [vu par la sociologie]

La notion de capital est avant tout une notion économique. C'est notamment à la suite des travaux de Pierre Bourdieu que la notion est utilisée en sociologie. Néanmoins, elle y prend un sens différent.
Comme en économie, le capital peut être pris comme un ensemble de ressources qui peuvent être de plusieurs sortes. À chaque capital va correspondre une logique d’investissement, de rentabilité, d’accumulation, de profit, etc.
Chez Pierre Bourdieu, il y a quatre (trois plus un pourrait-on dire) sortes de capitaux : le capital économique, le capital culturel, le capital social et le capital symbolique. On trouve par ailleurs des sous-catégories de ces sortes de capitaux. Les différentes sortes de capitaux sont, en partie, convertibles entre elles. Le capital culturel peut, par exemple, être converti en capital économique ou le capital économique en capital symbolique.

Capital économique

Le capital économique est une somme de ressources monétaires, financières, patrimoniales.
Pour Pierre Bourdieu, le capital économique semble jouer un rôle dominant dans la mesure où le champ dans lequel il est accumulé, le champ économique, est lui-même dominant.

Capital culturel

(Programme TES 2011, Notions)

Le capital culturel est un ensemble de ressources en connaissances et informations. Le capital scolaire est une sous catégorie du capital culturel.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital culturel peut exister sous trois formes : à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la forme de dispositions durables de l'organisme ; à l'état objectivé, sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines, qui sont la trace ou la réalisation de théories ou de critiques de ces théories, de problématiques, etc. ; et enfin à l'état institutionnalisé, forme d'objectivation qu'il faut mettre à part parce que, comme on le voit avec le titre scolaire, elle confère au capital culturel qu'elle est censée garantir des propriétés tout à fait originales. »

Pierre Bourdieu, “Les trois états du capital culturel”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°30, 1979, pp. 3-6. Disponible en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654 (doi : 10.3406/arss.1979.2654)

Capital social

(Programme 1ES 2010, Notions ; Programme TES 2011, Acquis de première)

Le capital social est un ensemble de ressources relationnelles dont il est possible de tirer profit.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital social est l’ensemble des ressources mobilisées (des capitaux financiers, mais aussi de l’information, etc.) à travers un réseau de relations plus ou moins étendu et plus ou moins mobilisable qui procure un avantage compétitif en assurant aux investissements des rendements plus élevés. »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237.

Il ajoute que cette définition du capital social :

« prend en compte non seulement le réseau des relations, caractérisé dans son étendue et sa viabilité, mais aussi le volume du capital de différentes espèces qu’il permet de mobiliser par procuration (et, du même coup, les profits divers qu’il peut procurer : promotions professionnelles, participation à des projets, accès à des décisions importantes, occasions d’investissements financiers ou autres). »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237n.

Capital symbolique

Le capital symbolique est une somme de ressources en prestige, honneur, réputation, etc.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital symbolique réside dans la maîtrise de ressources symboliques fondées sur la connaissance et la reconnaissance, comme l’image de marque (goodwill investment), la fidélité à la marque (brand loyalty), etc. ; la confiance ou la croyance de ceux qui le subissent parce qu’ils sont disposés à accorder crédit (c’est la pouvoir symbolique qu’invoque Keynes lorsqu’il pose qu’une injection de monnaie agit si les agents croient qu’elle agit). »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237.

Il est cependant important de remarquer que le capital symbolique se distingue des autres formes de capitaux par sa nature singulière :

« J’ai montré que le capital se présente sous trois espèces fondamentales, à savoir, le capital économique, le capital culturel et la capital social. À ces trois espèces il faut ajouter le capital symbolique qui est la forme que l’une ou l’autre de ces espèces revêt quand elle est perçue à travers des catégories de perception qui en reconnaissent la logique spécifique ou, si vous préférez, qui méconnaissent l’arbitraire de sa possession et de son accumulation. »

Source : Pierre Bourdieu, Réponses : pour une anthropologie réflexive, Libre examen, Seuil, Paris, 1992, p. 94.

 
Document. Une représentation de la structure sociale par Pierre Bourdieu

Document. Appartenance de classe et inégalités scolaires chez Pierre Bourdieu

Pour les fils de paysans, d’ouvriers, d’employés ou de petits commerçants, l’acquisition de la culture scolaire est acculturation. […] Le succès scolaire irait-il aussi largement aux étudiants originaires des classes moyennes qu’aux étudiants originaires des classes cultivées, les uns et les autres resteraient séparés par des différences subtiles dans la façon d’aborder la culture. Il n’est pas exclu que le professeur qui oppose l’élève « brillant » ou « doué » à l'élève « sérieux » ne juge, en nombre de cas, rien autre chose que le rapport à la culture auquel l’un et l’autre sont socialement promis par leur naissance. […]
Or, la culture de l’élite est si proche de la culture de l’École que l’enfant originaire d’un milieu petit-bourgeois (et a fortiori paysan ou ouvrier) ne peut acquérir que laborieusement ce qui est donné au fils de la classe cultivée, le style, le goût, l’esprit, bref, ces savoir-faire et ce savoir-vivre qui sont naturels à une classe, parce qu’ils sont la culture de cette classe. […]

Source : Pierre Bourdieu & Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Éditions de Minuit, 1985 (1964 pour la 1ère édition), pp. 37-40.

Question : En quoi le texte explique-t-il les inégalités de réussite scolaire ?

L'approche de Warner

William Lloyd Warner (1898-1970), sociologue américain, apporte une contribution importante à l'analyse de la stratification sociale en conduisant, dans les années 1930, l'étude empirique approfondie d'une petite ville des États-Unis baptisée fictivement « Yankee City ». Il s'agit en réalité de la ville Newburyport, petite ville portuaire de 17 000 habitants située dans le Massachusetts.

= multiplicité des critères de différenciation sociale dans les sociétés post-industrielles (statut professionnel, âge, sexe, style de vie).

II. Comment rendre compte de la mobilité sociale ?

Notions : Mobilité intergénérationnelle/intragénérationnelle, mobilité observée, fluidité sociale, déclassement, capital culturel, paradoxe d'Anderson.

Acquis de première : groupe d'appartenance, groupe de référence, socialisation anticipatrice, capital social.

Indications complémentaires :

Après avoir distingué la mobilité sociale intergénérationnelle d'autres formes de mobilité (géographique, professionnelle), on se posera le problème de sa mesure à partir de l'étude des tables de mobilité sociale dont on soulignera à la fois l'intérêt et les limites. On distinguera la mobilité observée et la fluidité sociale et on mettra en évidence l'existence de flux de mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale. On étudiera différents déterminants de la mobilité et de la reproduction sociale : l'évolution de la structure socioprofessionnelle, le rôle de l'école et de la famille.

Quelques exemples de sujets du bac :
EC3 :
Quels sont les effets de l'évolution de la structure des professions sur la mobilité sociale ? (France métropolitaine, 2012)
Montrez les effets de l'évolution de la structure par catégories socioprofessionnelles sur la mobilité sociale. (Autres centres étrangers, 2013)
Vous démontrerez que la famille peut constituer un frein à la mobilité sociale des individus. (France métropolitaine, 2014)
Vous montrerez que l'école ne parvient pas toujours à assurer une mobilité sociale. (Polynésie, 2014, rattrapage)
Vous montrerez que l'école rencontre des difficultés pour assurer la mobilité sociale. (Pondichéry, 2016)

Dissertation :
L'école favorise-t-elle la mobilité sociale ? (Liban, 2013)
Quel rôle joue la famille dans la mobilité sociale ? (Polynésie, 2014)
Quels sont les déterminants de la mobilité sociale en France ? (Asie, 2015)
Quel rôle joue l'école dans la mobilité sociale ? (Amérique du Nord, 2016)

Capital [vu par la sociologie]

La notion de capital est avant tout une notion économique. C'est notamment à la suite des travaux de Pierre Bourdieu que la notion est utilisée en sociologie. Néanmoins, elle y prend un sens différent.
Comme en économie, le capital peut être pris comme un ensemble de ressources qui peuvent être de plusieurs sortes. À chaque capital va correspondre une logique d’investissement, de rentabilité, d’accumulation, de profit, etc.
Chez Pierre Bourdieu, il y a quatre (trois plus un pourrait-on dire) sortes de capitaux : le capital économique, le capital culturel, le capital social et le capital symbolique. On trouve par ailleurs des sous-catégories de ces sortes de capitaux. Les différentes sortes de capitaux sont, en partie, convertibles entre elles. Le capital culturel peut, par exemple, être converti en capital économique ou le capital économique en capital symbolique.

Capital économique

Le capital économique est une somme de ressources monétaires, financières, patrimoniales.
Pour Pierre Bourdieu, le capital économique semble jouer un rôle dominant dans la mesure où le champ dans lequel il est accumulé, le champ économique, est lui-même dominant.

Capital culturel

(Programme TES 2011, Notions)

Le capital culturel est un ensemble de ressources en connaissances et informations. Le capital scolaire est une sous catégorie du capital culturel.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital culturel peut exister sous trois formes : à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la forme de dispositions durables de l'organisme ; à l'état objectivé, sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines, qui sont la trace ou la réalisation de théories ou de critiques de ces théories, de problématiques, etc. ; et enfin à l'état institutionnalisé, forme d'objectivation qu'il faut mettre à part parce que, comme on le voit avec le titre scolaire, elle confère au capital culturel qu'elle est censée garantir des propriétés tout à fait originales. »

Pierre Bourdieu, “Les trois états du capital culturel”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°30, 1979, pp. 3-6. Disponible en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654 (doi : 10.3406/arss.1979.2654)

Capital social

(Programme 1ES 2010, Notions ; Programme TES 2011, Acquis de première)

Le capital social est un ensemble de ressources relationnelles dont il est possible de tirer profit.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital social est l’ensemble des ressources mobilisées (des capitaux financiers, mais aussi de l’information, etc.) à travers un réseau de relations plus ou moins étendu et plus ou moins mobilisable qui procure un avantage compétitif en assurant aux investissements des rendements plus élevés. »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237.

Il ajoute que cette définition du capital social :

« prend en compte non seulement le réseau des relations, caractérisé dans son étendue et sa viabilité, mais aussi le volume du capital de différentes espèces qu’il permet de mobiliser par procuration (et, du même coup, les profits divers qu’il peut procurer : promotions professionnelles, participation à des projets, accès à des décisions importantes, occasions d’investissements financiers ou autres). »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237n.

Capital symbolique

Le capital symbolique est une somme de ressources en prestige, honneur, réputation, etc.

Il est défini par Pierre Bourdieu comme suit :

« Le capital symbolique réside dans la maîtrise de ressources symboliques fondées sur la connaissance et la reconnaissance, comme l’image de marque (goodwill investment), la fidélité à la marque (brand loyalty), etc. ; la confiance ou la croyance de ceux qui le subissent parce qu’ils sont disposés à accorder crédit (c’est la pouvoir symbolique qu’invoque Keynes lorsqu’il pose qu’une injection de monnaie agit si les agents croient qu’elle agit). »

Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Liber, Seuil, Paris, 2000, p. 237.

Il est cependant important de remarquer que le capital symbolique se distingue des autres formes de capitaux par sa nature singulière :

« J’ai montré que le capital se présente sous trois espèces fondamentales, à savoir, le capital économique, le capital culturel et la capital social. À ces trois espèces il faut ajouter le capital symbolique qui est la forme que l’une ou l’autre de ces espèces revêt quand elle est perçue à travers des catégories de perception qui en reconnaissent la logique spécifique ou, si vous préférez, qui méconnaissent l’arbitraire de sa possession et de son accumulation. »

Source : Pierre Bourdieu, Réponses : pour une anthropologie réflexive, Libre examen, Seuil, Paris, 1992, p. 94.

 

1. La mesure de la mobilité sociale

Pour mesurer la mobilité sociale, il est indispensable d'utiliser – et donc de comprendre – les tables de mobilités.

Pour commencer : Document. Les tables de mobilité, un indicateur imparfait.

Les tableaux de mobilité sociale résultent du croisement de deux variables : la profession de l'enquêté et celle du père, la comparaison des professions permettant de déterminer le taux et le sens de la mobilité. Méthode […] fondée sur trois postulats : la profession est un indicateur adéquat de la position sociale, cette position sociale s'intègre dans une hiérarchie unique, cette hiérarchie sociale est stable dans le temps. Trois postulats qui ne correspondent que grosso modo à la réalité. Sans doute la position sociale est-elle essentiellement déterminée par la situation professionnelle mais elle peut, à professions identiques, varier en fonction du revenu, du niveau culturel, du patrimoine, de la naissance même (les titres nobiliaires n'ont pas par exemple perdu toute valeur sociale). La position sociale du père elle-même n'exprime qu'imparfaitement la situation sociale d'origine, d'autres variables devraient être prises en compte (situation de la mère, des grands-parents, lieu du domicile…) qui ne peuvent généralement pas l'être faute d'être connues.
L’unicité de la hiérarchie sociale est une autre simplification du réel : au sein des sociétés occidentales, les différentes échelles (du savoir, du prestige, de la richesse, du pouvoir…) ne correspondent qu'imparfaitement.[…] Enfin, la hiérarchie des positions sociales ne se perpétue pas identique à elle-même. L'échelle de prestige des professions pour être relativement stable dans le temps n'est pas immuable : l'instituteur de 1970 ne jouit pas de la même considération que celui de 1920 […]. D'autre part et surtout, la situation relative des métiers dans la hiérarchie des revenus s'est sensiblement modifiée […].

Source : Philippe Bénéton, « Quelques considérations sur la mobilité sociale en France », Revue française de sociologie, octobre-décembre 1975, n°16-4. pp. 517-538. Disponible en ligne : www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1975_num_16_4_5831 (DOI : 10.2307/3321291)

Voir exercices sur les tables de mobilité.

Document. Table de mobilité sociale 2003

Table de mobilité sociale 2003

Source : Stéphanie Dupays, « En un quart de siècle, la mobilité sociale a peu évolué », Données sociales : La société française, Insee, édition 2006, p. 345.
Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1371953
https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1371953/donsoc06ym.pdf

Document. Mobilité sociale récente et évolution

a.

Source : Centre d'observation de la société, « Tel père, tel fils ? L’inégalité des chances reste élevée », 2017. Disponible en ligne : http://www.observationsociete.fr/categories-sociales/tel-pere-tel-fils-du-nouveau-en-matiere-de-mobilite-sociale.html

b. http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/la-mobilite-intergenerationnelle-des-actifs-au-debut-des-annees-2010

Document. Mobilité sociale observée par rapport au père en 2014-2015

version ods

Source : Tiaray Razafindranovona, « Malgré la progression de l’emploi qualifié, un quart des personnes se sentent socialement déclassées par rapport à leur père », Insee Première, n°1659, 12/07/2017. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2897850

Pour mesurer ces différentes mobilités, l'Insee les définit comme suit :

version odp

Document. La mobilité sociale observée et ressentie en France

a. Mobilité sociale ressentie par rapport au père

version ods

Source : Tiaray Razafindranovona, « Malgré la progression de l’emploi qualifié, un quart des personnes se sentent socialement déclassées par rapport à leur père », Insee Première, n°1659, 12/07/2017. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2897850

b. Mobilité sociale et sentiment de déclassement par rapport au père

version ods

Source : Tiaray Razafindranovona, « Malgré la progression de l’emploi qualifié, un quart des personnes se sentent socialement déclassées par rapport à leur père », Insee Première, n°1659, 12/07/2017. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2897850

Pour aller plus loin, voir aussi :
http://ses.ens-lyon.fr/actualites/rapports-etudes-et-4-pages/mobilite-sociale-observee-et-ressentie-en-france-en-2014-15-insee-juillet-2017

Document. Comment évolue la mobilité sociale en France ?

http://www.observationsociete.fr/categories-sociales/evolution-mobilite-sociale.html

2. Les déterminants de la mobilité sociale

Paradoxe d'Anderson

Le paradoxe d'Anderson doit son nom à une analyse empirique du sociologue américain Charles Arnold Anderson (1907-1990) dans son article : « A Skeptical Note on the Relation of Vertical Mobility to Education », American Journal of Sociology, vol. 66, n°6, 1961, pp. 560-570. Il y constate que l'acquisition d'un diplôme supérieur à celui de son père ne garantit pas une position sociale plus élevée. Inversement, l'échec scolaire par rapport au père ne conduit pas nécessairement à une position sociale inférieure.

 

III. Justice sociale et inégalités : comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?

Notions : Égalité, discrimination, assurance / assistance, services collectifs, fiscalité, prestations et cotisations sociales, redistribution, protection sociale.

Acquis de première : État-providence, prélèvements obligatoires, revenus de transfert.

Indications complémentaires :

On s'interrogera sur les fondements des politiques de lutte contre les inégalités en les reliant à la notion de justice sociale ; on rappellera à ce propos que toute conception de la justice doit répondre à la question : « L'égalité de quoi ? » On distinguera égalité des droits, égalité des situations et égalité des chances. On analysera les principaux moyens par lesquels les pouvoirs publics peuvent contribuer à la justice sociale : fiscalité, redistribution et protection sociale, services collectifs, mesures de lutte contre les discriminations. On montrera que l'action des pouvoirs publics s'exerce sous contrainte et qu'elle fait l'objet de débats quant à son efficacité : risques de désincitation et d'effets pervers.

Quelques exemples de sujets du bac :
EC3 :
Vous montrerez par quels moyens les pouvoirs publics mettent en oeuvre la redistribution. (Pondichéry, 2013)
Vous montrerez comment les pouvoirs publics peuvent réduire les inégalités économiques. (Polynésie, 2013, rattrapage)
Vous montrerez comment la redistribution réduit les inégalités. (Antilles-Guyane, 2015, rattrapage)
Vous montrerez que l'action des pouvoirs publics rencontre des difficultés pour contribuer à la justice sociale. (Nouvelle-Calédonie, 2015)
Vous montrerez comment les mesures de lutte contre les discriminations contribuent à la justice sociale. (Autres centres étrangers, 2016)

Dissertation :
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser l'égalité ? (Nouvelle-Calédonie, 2013)
La redistribution suffit-elle à assurer la justice sociale ? (France métropolitaine, 2014, rattrapage)
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à l'égalité ? (Liban, 2015)
Dans quelle mesure l'action des pouvoirs publics est-elle efficace pour lutter contre les inégalités ? (France métropolitaine, 2015)
L'action des pouvoirs publics pour contribuer à la justice sociale est-elle efficace ? (Polynésie, 2015, rattrapage)
La protection sociale est-elle efficace pour réduire les inégalités ? (Asie, 2016)

Nous avons vu dans les parties précédentes que si les sociétés démocratiques reposent sur un idéal égalitaire, de nombreuses inégalités persistent dans les sociétés modernes. Ce constat conduit non seulement à s'interroger sur les fondements de la justice sociale (pourquoi certaines inégalités sont-elles tolérées ? Quelles justifications à l'intervention publique ? Quelles objectifs de cette intervention ?) mais aussi les instruments utilisés pour l'atteindre (Quelles modalités/moyens de l'intervention publique ? Quels financements ?) et quelles limites (perte de légitimité ? problème de financement ? problème d'efficacité ?).

Égalité

(Programme TES 2011, Notions)

Égalité de droit

L'égalité de droit (ou égalité en droit ou égalité devant la Loi ou égalité formelle) est définie, à la suite de la Révolution française, par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 :

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »

Source : Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 1789, article 1. Disponible en ligne

L'égalité de droit implique ainsi que tous les individus, quelles que soient leurs caractéristiques propres, doivent être traités de la même façon par la loi. Autrement dit, aucun individu ou groupe d'individus ne doit bénéficier de privilèges garantis par la loi.

Exemples :

  • Dans une société où existe l'esclavage, certains individus ont davantage de droits (le maître) que d'autres (l'esclave). La loi autorise ainsi un individu à posséder un autre individu, à le tuer ou le maltraiter, etc., alors que l'inverse n'est pas vrai (un esclave ne peut pas devenir maître).
  • Sous l'Ancien Régime (société d'ordres), le seigneur possède davantage de droits que ses serfs et, plus généralement, les nobles et le clergé ont des privilèges que n'a pas le Tiers-État.
  • Dans la société de castes indienne, les brahmanes ont des droits supérieurs à ceux des kshatriya qui ont des droits eux-mêmes supérieurs aux vaishya et ainsi de suite pour l'ensemble des autres castes inférieures.

Dans tous ces exemples, c'est la loi est à l'origine de l'inégalité en donnant des droits différents aux individus selon leur statuts, origine et/ou naissance. À l'inverse, l'égalité de droits implique l'abolition de tout privilège.

 
Document. La société française aujourd'hui, vous paraît-elle plutôt juste ou plutôt injuste ?

Note : NSP signifie “Ne se prononce pas”.
Source : Drees. Disponible en ligne : http://www.data.drees.sante.gouv.fr/ReportFolders/reportFolders.aspx

Revenus de transferts

(Programme 1ES 2010, Notions ; Programme TES 2011, Acquis de première)

Remarque : on parle parfois, mais peu souvent, de revenus secondaires.

Les revenus de transfert sont les revenus issus du système de protection sociale (allocations familiales, pensions de retraite…), autrement dit ils correspondent aux prestations sociales perçues par les ménages.

 
Document. Le barème de l'impôt sur les revenus 2020

Source : Bercy Infos, 30/12/2019. Disponible en ligne : https://www.economie.gouv.fr/particuliers/tranches-imposition-impot-revenu#

Document. Part des hommes dans les assemblées locales et nationales et au sein des exécutifs, avant et après les lois dites de parité

''Source : Ministère de l’Intérieur – Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, octobre 2017 in HCE, Rapport annuel sur l’état du sexisme en France en 2019, 2 mars 2020. Disponible en ligne : http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_etat_des_lieux_du_sexisme_2019-2.pdf

Schéma récapitulatif

Terminale ES

1)
par opposition à un indicateur de la disparité qui compare les valeurs centrales d'un caractère dans des groupes de population différents
2)
On doit l'expression à Alain Lipietz, dans son ouvrage La Société en sablier. Le partage du travail contre la déchirure sociale, La Découverte, Paris, 1996.
3)
telle que publiée sur Inter-ES.
4)
« We are thus forced back on the central criterion, a person's income is what he can consume during the week and still expect to be as well of at the end of the week as he was as the beginning. »